La Sagesse

            La Sagesse! La Sagesse de Dieu, l’intelligence de Dieu, présente en lui avant toute œuvre  créatrice : Je faisais ses délices, jour après jour. Sagesse présente avec lui tout au long de l’œuvre créatrice : J’étais à ses côtés comme le maître d’œuvre… m’ ébattant sur la surface de la terre.

            On est comme porté et emporté par cette évocation de la Sagesse qui se déploie en merveilles à travers l’univers depuis les cieux, le cercle tracé à la surface de l’abîme, les eaux enfermées dans les termes assignés aux nuées d’en haut et à la mer; qui se déploie en montagnes et collines, en terres et campagnes. On voudrait s’attarder à contempler cette Sagesse, cette intelligence dont les forces dynamiques et créatrices semblent ne pas connaître de limites.

Mais la Sagesse, justement, ne s’enferme pas en elle-même, ne se réjouit pas que d’elle-même, pas plus que Dieu ne se réserve qu’à lui-même. Elle est aussi intelligence pratique. Elle guide, elle ordonne, elle crée. Elle trouve ses délices parmi les enfants des hommes. Elle veut être délices pour les enfants des hommes. Elle veut être présente dans les enfants des hommes. Alors, la Sagesse de Dieu prend visage pour se communiquer à nous. Le visage de Jésus de Nazareth si proche de nous, si semblable à nous. Un être de chair et de sang, d’esprit et de cœur, qui a partagé notre vie et notre mort. Qui a compati à nos misères, à nos peines. Qui a pardonné nos erreurs et nos bêtises. Qui a voulu notre bonheur et nos joies, et même notre colère devant l’injustice, l’intolérance, le jugement qui réduit l’autre jusqu’à n’être plus que sa faute ou sa misère. Et puis, au moment de quitter notre terre, à la veille de sa mort, au cours de son repas d’adieu, il nous a parlé de sa présence continuée sous le voile de l’absence. Il a promis pour nous le don de l’Esprit. Il nous a communiqué dans sa geste pascale cet Esprit, Sagesse de Dieu et désormais notre sagesse. Comme si l’intelligence et l’esprit de Dieu en son œuvre créatrice devenait notre intelligence et notre esprit aux carrefours de nos vies, quand des choix s’imposent à nous, des décisions dont on peut si mal mesurer les effets. Comme si le regard de Dieu, posé sur le monde et sur nous en son fils Jésus, devenait notre regard sur les événements, sur les personnes, sur nous-mêmes, et sur la vie que nous avons à vivre et gérer.

            Un tel idéal de sagesse, sagesse ordonnatrice et prévoyante de Dieu, sagesse qui nous serait communiquée en Jésus et dans l’Esprit, est-il encore un idéal pour nous, nous est-il possible? Notre manière de voir le monde n’est plus cette admiration qui venait spontanément aux anciens. Nous le savons tellement plus complexe le monde maintenant. Nous le savons aussi plus chaotique, parfois même cruel et monstrueux. Nous n’avons plus de prise sur lui. Et la conduite de notre propre vie, nous voyons bien qu’elle nous échappe en larges parts. Nous nous savons dépendants de forces obscures en nous. Comme nous savons qu’en tant de nos comportements et de nos décisions, même les plus familiers, comme adopter telle opinion plutôt que telle autre, acheter tel produit plutôt que tel autre, nous sommes reliés à tant d’autres personnes, soumis à des conditionnements qui échappent à notre contrôle. Et la complexité de nos relations humaines!

            Mais c’est peut-être là justement que nous prenons conscience que nous sommes en manque de sagesse, que nous avons peu de repères, que nous manquons de sages dont l’opinion et les paroles sauraient nous guider. Oui, malgré tout, nous rêvons de sagesse, nous avons faim de sagesse. Non pas d’une sagesse universelle, d’une sagesse qui planerait bien au-dessus de nous et de notre monde, mais d’une sagesse qui nous permettrait le recul, la distance par rapport aux événements, le regard critique par rapport aux slogans qui chaque jour martèlent nos esprits, par rapport aux idées toutes faites qui finissent par nous habiter. Retrouver une voix intérieure que l’on pourrait écouter, interroger, qui nous guiderait!

Peut-être sommes nous trop rapidement tentés de renoncer à la sagesse, de nous en remettre aux hasards de la vie; ou bien de nous en remettre à des sagesses mal éprouvées, à des sages patentés, comme si nous n’avions en nous aucune ressource. C’est alors qu’il nous faut nous rappeler la Sagesse de Dieu qui bâtit un monde pour notre bonheur et nos délices. La Sagesse de Dieu qui s’est montrée à nous en la personne de Jésus, qui est présente dans le don de l’Esprit. Sagesse de Dieu gravée dans les replis de nos intelligences et qui veut se transmettre encore en nos jugements et nos actions.

Voici qu’en ce dimanche l’évocation de la Sagesse de Dieu, les paroles d’adieu de Jésus, nous conduisent à l’exercice et à l’apprentissage de notre propre sagesse. Une  sagesse éclairée par la lumière de l’Évangile qui devient la trame sur laquelle se croisent et se tissent les fils de nos vies. Une sagesse qui naît de l’écoute : écoute des événements, des autres, de leurs joies et de leurs peines, de leurs audaces et de leurs erreurs. Sagesse qui se construit dans le partage : partage avec d’autres de ses propres opinions et projets, partage où l’on reçoit et donne. Sagesse qui naît du silence que l’on accepte à certaines heures ou que l’on sait retrouver en soi au milieu des bruits du monde et de notre propre agitation. La sagesse qui est la conduite nécessaire pour être croyant adulte et responsable de soi et des autres, c’est la reconnaissance des dons et grâces dont Dieu nous comble et qu’il nous appartient de mettre à profit.

            Souvent nous nous demandons quelle est aujourd’hui la voix que des chrétiens et chrétiennes pourraient faire entendre. Souvent nous nous demandons ce que nous pourrions apporter au monde, à notre monde d’ici, tout proche. Un peu de recul, un peu de silence, un peu de critique avant d’accepter n’importe quoi, ce n’est pas rien, ce n’est pas inutile, c’est un peu de sagesse dans une société inquiète qui s’évade en gestes extrêmes. C’est peut-être cela la Sagesse de Dieu qui nous a été communiquée pour être par nous communiquer. Cette sagesse qui une fois trouvée, trouve la vie, et qui fait que l’on ne chérit plus la mort, que l’on ne s’abandonne pas à elle.