« Qu’est-ce qui nous reste? »

Ouf! Mais quel passage d’Évangile! L’Évangile, c’est aussi cela : une immense interrogation sur le sens de la vie, sur nos façons de réagir aux événements qui nous arrivent, sur nos façons de percevoir le rôle qu’on attribue à Dieu, surtout quand il s’agit de catastrophes.

De la montagne de la transfiguration évoquée et célébrée dimanche dernier, — les personnes qui étaient dans l’assemblée s’en souviendront — nous redescendons aujourd’hui dans la plaine, dans le quotidien de la vie avec ses culpabilités, ces catastrophes, ses patiences aussi. Un Évangile qui se vit et invente son chemin à même les événements heureux ou malheureux de la vie.

Un massacre commandé par Pilate, comme il y en a tant encore aujourd’hui — on a en tête, bien sûr, le massacre tout récent de Madrid — ; une tour qui tombe et qui tue plusieurs personnes. Cela ne nous rappelle-t-il pas un certain 11 septembre? Avec, en fond d’Évangile, ces interrogations : pourquoi cela est-il arrivé? Pourquoi ceux-là ont-ils péri et pas nous? Est-ce parce qu’ils auraient commis plus de péchés que les autres? Soit dit entre nous, si tous les innocents qui sont morts l’étaient à cause de leurs péchés, qui serait encore vivant en ce monde et parmi nous? Où est Dieu? Quelle est la part de Dieu dans tous ces incidents?

Et cette superbe parabole du figuier planté en plein champ de vigne et qui ne produit pas de fruits depuis trois ans. Paraît-il qu’au pays de Jésus, un figuier n’a pas de considération s’il ne porte pas de fruits. Et pourtant, c’est la patience du vigneron qui vient à son secours pour le sauver, à la condition qu’il ne continue pas à épuiser la vie du sol, qu’il produise du fruit l’année suivante, sinon on le coupera? Des questions bien actuelles et de toujours. Et tout ce questionnement pour nous faire prendre conscience qui que nous soyons que nous avons tous et toutes besoin de conversion : « Et si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous comme eux. » N’a-t-on pas l’impression de revenir aux plus mauvais jours d’un vieux christianisme? Et pourtant…

Ces images fortes, si près de nos vies, sont un appel pour que nous restions vigilants devant les fragiles fondations de ce que nous sommes. Dans ce passage d’Évangile, Jésus bouleverse nos manières de penser. Les malheurs et les catastrophes font partie de la vie. Alors convertissez-vous, changez votre regard, et vous les vivrez autrement, dans l’espérance. Apprenez à vivre les épreuves qui surviennent comme des passages à plus de vie, plus d’amour. Nous sommes pécheurs, c’est vrai, mais attention! la mort qui nous guette n’est pas tant celle qui détruit le corps, mais celle qui défait le meilleur de nous-mêmes. Il faut changer. Allons vers ce qu’il y a de meilleur en nous. Dieu nous accompagne, son Esprit aussi. Et nous avons un guide privilégié, Jésus. N’est-ce pas cela la conversion? Se mettre en route, s’interroger… Il importe que nous en éprouvions le besoin.

Ce passage d’Évangile met le doigt sur nos difficultés de vivre dans un monde où le destin de chacun est soumis à des impondérables. Il nous arrive beaucoup d’inattendu, qu’il s’agisse d’un grand bonheur qui survient ou d’un malheur soudain; on est alors porté à prêter l’inattendu à Dieu. Jésus essaie de nous dire qu’il ne faut pas voir la main de Dieu sur chaque coup du sort, ou un péché commis derrière chaque événement difficile, non plus que de voir sa volonté partout et à toutes les sauces... Dieu est un compagnon, il est patient. Dure à avaler la patience de Dieu face à la destinée humaine. Surtout quand on voit les misères de tant d’innocents. Dans les aléas de la vie, Dieu n’est-il pas plutôt à nos côtés comme un compagnon patient de route qu’en dessus de nous comme une épée de Damoclès? Souvenons-nous du superbe récit d’Emmaüs dans lequel les disciples, au soir de la résurrection, finissent par reconnaître Jésus en marchant sur la route.

Jésus a pris le relais. Il tourne le regard vers la vie… Il est à nos côtés, il attend souvent, pour nous inviter à toujours avancer, à convertir notre regard et notre cœur. La mort n’est-elle pas celle qui ruine le meilleur de l’être, son cœur? C’est important que nous changions que nous nous convertissions. Ne sommes-nous pas tous pécheurs. Changeons notre regard sur nous-mêmes, sur les autres et sur Dieu.

D’ailleurs, Jésus ne meurt-il pas parce qu’il partage le sort de toutes les victimes? Il prend non seulement le parti des pauvres, des victimes, mais il se met à leur place. C’est là le sens de sa mort pour nous, alors que nous, nous cherchons des coupables. Comment Dieu peut-il être accusé de tout ce qui arrive? Laissons Dieu être Dieu…

Quels que soit notre âge et notre situation dans la vie, un passage d’Évangile comme celui d’aujourd’hui nous invite à évaluer notre regard sur Dieu et sur nous-mêmes, sur la qualité de notre sol, pour reprendre l’image du figuier. Je nous laisse avec une question que je reprends d’un livre de Maurice Bellet (Sur l’autre rive) : « Qu’est-ce qui nous reste? Qu’est-ce qui nous reste quand il ne nous reste plus rien? Nous revenons à l’essentiel… Il semble que ce soit quelque chose de l’ordre de la relation à Dieu. Quelque chose d’une qualité de relations entre les humains : solidarité, justice, amour, respect. Sans cela, pas d’humanité. Ce sont les valeurs les plus proches en même temps que les plus lointaines. C’est à ce point que l’Évangile trouve son chemin et nous fait vivre d’espérance et de foi. Alors oui : Si nous ne nous convertissons pas, nous périrons-tous » Comprenons-nous un peu mieux le sens de cette interpellation?