Le pari sur l'amour
Il y a dans notre
tradition, un pari auquel Jésus a donné un
aval déterminant : le pari sur l'amour sans condition. Jésus
n'est-il pas venu nous dire en paroles et en gestes un amour tel qu'on peut
le qualifier de désarmant. Un amour qui fait baisser les bras vengeurs,
un amour qui fait tomber les armes de la vengeance et des représailles.
Un amour qui a la force de briser la spirale de la haine et de la violence.
Un amour capable de rendre impertinente l'escalade de la vengeance.
Nous
venons d'entendre une exhortation musclée, exigeante; une exhortation
risquée?Une exhortation naïve? Des propos de l'évangéliste
Luc qui sont dérangeants et dont on se demande, peut-être, quelle
attention leur donner. Souhaiter du bonheur et de la chance à ceux qui
nous méprisent, nous détestent et nous maudissent avec un vocabulaire
non équivoque… Prier pour ceux qui nous calomnient? Il nous arrive
d'entendre ou de dire des mots comme ceux-ci : " je veux bien
faire mon possible pour pardonner à telle personne, mais de grâce,
ne me demandez pas de prier pour elle ". Et puis, que faire de l'étrange
conseil " À qui te frappe sur une joue, présente l'autre.
À qui te prend ton manteau, laisse aussi ta tunique ". Tout de même! Nous
pouvons cependant reconnaître que de telles attitudes peuvent être
tout à fait déstabilisantes, désarmantes. Présenter
l'autre joue à quelqu'un qui vient de vous gifler, ce n'est pas de l'ordinaire.
Ce peut être très surprenant, tellement surprenant que l'autre
peut en perdre son élan et ses moyens. Ce qui est suggéré et
qui peut évoquer toute la gamme des réactions, des silences et
des roses qu'on peut offrir à qui nous malmène, peut créer
un effet de surprise tout à fait bénéfique.
Cela
suppose la foi de parier sur la force de changement que véhicule
l'amour. Il y a là un risque qu'on peut hésiter à prendre,
car il nous amène à désarmer, à lâcher prise.
Tendre l'autre joue, est-ce maladif? Est-ce une déviation doloriste,
victimale? Ça peut être quelque chose du genre! N'y a-t-il pas
là un très fort symbole de tout geste, de toute attitude qui
ne répond pas à la violence par la violence, au mal par le mal.
Et l'on sait qu'existent des répliques douces et amoureuses, des silences
et des regards qui peuvent être autrement plus exigeants mais plus porteurs
de paix que le geste de tendre bêtement et triomphalement l'autre joue!
C'est
une spiritualité qui est ainsi appelée. Une spiritualité qui
prend sa source dans le prix qui est accordé au souffle fragile qui
anime tout être humain. Ce sont des mots que j'emprunte à Madame
Lytta Basset, dans une de ses chroniques radiophoniques publiées sous
le titre de " Paroles matinales ". Quelque chose de nouveau, écrit-elle,
est en train d'éclore à l'échelle planétaire… Sans doute pour la première fois dans l'histoire de l'humanité,
des millions de personnes défilent dans les rues les mains nues et se
mobilisent par tous les moyens de résistance, de résistance pacifique
rendus possibles. " Quand j'entends l'opinion publique mondiale aspirer à une
paix qui commence par respecter la vie humaine, je me dis que nous sommes en
bonne voie ", selon Madame Basset.
Il
y a en nous de la bonté, il y a de la bonté en tout être
humain. Une bonté souvent à libérer, car elle peut être étouffée
sous les débris de nos combats inutiles. Heureux sommes-nous de nous
mettre à écouter, à respecter
et à laisser émerger le souffle fragile de l'amour désarmant;
le souffle contagieux d'un cœur habité par l'Esprit et la mentalité d'un
Père miséricordieux. Souhaitons-nous un cœur d'abord contemplatif
de l'amour de Dieu pour nous, un cœur en constant processus de conversion à Celui
qui nous entraîne et nous accompagne dans les passages de nos replis
revanchards jusqu'à l'ouverture confiante et à la douce force
transformante des regards et des gestes d'amour sans condition. Il faut du
temps, de la réflexion,
de la sagesse et de la foi en Dieu et en nous et dans l'autre pour cesser de
nous massacrer et surmonter la difficulté de faire le premier pas. La
prédication
de Jésus garde toute son actualité. Jésus a pratiqué et
enseigné la force des non-violents. Notons bien qu'il ne nous demande
pas d'être comme des moutons qui se laissent tondre et abattre sans réaction.
Il ne faut pas confondre la douceur évangélique et la lâcheté.
Lui-même, Jésus, durant sa passion, a réagi quand un serviteur
l'a giflé pour faire du zèle. Courageusement, Jésus a
tenu tête à Pilate lui signifiant qu'il abusait de son pouvoir
en le faisant flageller. Jésus nous invite à un agir nouveau.
Il nous invite à croire, malgré tout que chez les uns et les
autres, il y a le souffle fragile de la bonté.Introduction du texte
de Samuel :
Aimer
son ennemi devient une victoire sur le mal par la bonté. C'est la
victoire de David refusant de se venger de Saül. Au 1er livre de Samuel.