La vie et la foi
se jouent aujourd’hui
J’ose ajouter quelque mots, mais à peine,
dans le prolongement de ces lectures entendues. Mes quelques mots seront plutôt
en mode d’interrogation.
« Vous êtes,
vous, le corps du Christ » insistait Paul dans sa lettre
aux Corinthiens. « Cette parole de l’Écriture,
que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle
s’accomplit. »,
dit Jésus, alors que tous les fidèles présents dans
la synagogue « avaient les yeux fixés sur lui. » Imaginez
ce que cela pouvait représenter pour lui et les gens de Nazareth.
Jésus
est en train de naître à sa mission. Ce qu’il dit, c’est
un projet de vie, une tâche, un travail; c’est aujourd’hui
que la vie se joue, pour chacune et chacun; c’est aujourd’hui
que l’expérience de la foi se joue. Jésus semble nous
dire à nous
qui entendons ce passage dans notre aujourd’hui, qu’il faut
vivre le présent de façon si intense qu’il nous ouvre
les yeux; ou mieux il nous invite à les ouvrir si grand, comme en
un regard neuf sur la réalité : voir ce qu’on
aimerait parfois ne pas trop remarquer : la pauvreté, les oppressions.
Où en
est notre monde aujourd’hui? Où en est l’Évangile
aujourd’hui?
Jésus était
convaincu que la Parole grandit avec ceux et celles qui l’écoutent.
L’Évangile grandit avec les personnes
et les assemblées qui le reconnaisse et n’ont jamais fini
de le découvrir. En déposant le livre, Jésus manifeste
que la parole de Dieu n’est pas dans le livre; mais c’est
lorsqu’elle
est proclamée et reçue et qu’elle nous interroge. Écouter,
c’est se laisser interpeller. La Parole n’est pas du passé,
même si elle vient de loin; elle est du présent, de l‘actualité,
de l’aujourd’hui. La parole est toujours en un commencement.
D’une
certaine manière, elle n’est jamais dite, car elle attend
des hommes et des femmes pour l’accueillir. Et pourtant la Bonne
Nouvelle, elle est là : un travail de libération des pauvres,
des opprimés
de tous les pouvoirs…
C’est
certainement cette prise de conscience qui a permis à Paul
d’écrire aux chrétiens de Corinthe « Vous êtes
le corps du Christ. » Mais comment cela s’accomplit–t-il?
Paul inspire une vision. Un corps se construit comme on construit la
vie. Nous faisons corps quand l’écoute de la Parole nous
conduit à être
attentifs à l’aujourd’hui de notre vie et de la vie
de nos sociétés; à nous engager pour la liberté,
pour la justice envers les pauvres. Le forum social de Bombay ne nous
l’a
t-il pas rappelé d’une manière frappante? Et le forum économique
de Davos n’indique t-il pas une incertitude dans les choix de société à faire
devant les oppressions, les plus criantes, les plus sourdes aussi? Si
nous sommes le « Corps du Christ », la qualité de
ce corps doit nous hanter, sinon il s’éteint. N’est-ce
pas ce qui nous met en travail de continuer, dans la mémoire de
ce que Jésus
a été et fut, à construire la vie, l’amour,
la justice à même
et avec nos différences?
Quand
nous nous réunissons le dimanche, nous écoutons le récit
de notre origine. Une célébration, c’est un lieu,
un moment que l’on se donne, où on s’interroge sur
soi, sur Dieu, sur la qualité du corps que nous sommes et que
nous formons, un corps qui s’enracine dans celui même que
le Ressuscité a commencé de
façonner. C’est ce que nous redisons en geste quand nous
partageons le pain et la coupe : « Prenez, partagez,
c’est
mon corps »,
entendons-nous. Ce n’est pas parole magique, mais bien parole et
geste d’engagement, une sorte de contrat pour la vie. Le grand
s. Augustin disait aux assemblées qu’il présidait : « Vous êtes
le corps du Christ, recevez ce que vous êtes. » Nous sommes
son corps, nous nous y engageons à même ce geste si simple,
si lourd et parfois un peu usé, d’oser prendre le pain et
la coupe en mémoire
de Lui.
En
nous rassemblant les dimanches, nous nous voyons comme des membres fort différents,
mais soucieux d’ouverture les uns aux autres et au
Dieu de Jésus. On le sait, nous sommes de parcours, de confessions
chrétiennes
diverses. Cela est reconnu; cela est une richesse, et nous fait prendre
conscience que nous sommes en recherche d’unité toujours à venir,
de communion à réaliser, de justice à travailler.
Une communauté avec ses grandeurs et ses limites. Mais je le crois
et je le sens, une communauté qui cherche un aujourd’hui
qui a du sens dans le respect de ce que nous sommes. N’est-ce pas
cela une parole qui s’accomplit? N’est pas cela chercher à faire
corps? Il ne s’agit pas uniquement d’écouter cette
parole de Dieu; elle doit rejoindre notre parole au quotidien; elle gagne à devenir
action : parler et agir pour les pauvres, pour la justice, pour
la libération.
Dieu ne le fera pas pour nous.
Une
parole de Dieu pour aujourd’hui est-ce possible? Y croit-on vraiment?
Ce n’est pas une parole du passé, du bon vieux temps, mais
une parole qui met en marche. S. Grégoire de Nazianze ( 4e
s.) disait : « qui
s’avance vers Dieu, va de commencement en commencement, sans que
ce soit un re-commencement ». « Cette parole, c’est
aujourd’hui
qu’elle s’accomplit ». disait Jésus. « Vous êtes
le corps du Christ », écrivait s. Paul . Pour nous,
qu’en
est-il?