Que devons-nous faire?

C’est assez étonnant et paradoxal vous l’aurez remarqué vous aussi — qu’au milieu de tout ce brouhaha qui caractérise l’approche de Noël, cette période est le temps de bonnes interrogations sur notre manière de vivre nos relations proches : relations familiales, relations d’amitié etc. C’est aussi le moment de constater les pas qu’on a faits en avant et aussi les blessures. Où est-on rendus? Qu’est-ce qu’on apprend de la vie? Qu’est-ce qu’on apprend de soi, des autres et, je l’espère, de Dieu? On se pose de bonnes questions collées à nos vies.

Dans le passage d’Évangile, on sent un même climat d’interrogation. Les foules venaient se faire baptiser par Jean. Un mouvement de foule, comme on en voit tant dans la vie, une mode peut-être… Le baptême, un mouvement. On l’a depuis longtemps oublié dans notre expérience chrétienne. On en a encore aujourd’hui des images de gens qui se font baptiser ou se soumettent à un rite semblable et qui nous viennent d’ailleurs, d’autres cultures, d’autres religions. Dans le passage de Luc, on voit que les gens entrent dans l’eau du Jourdain pour rencontrer Jean le Baptiste. Celui-ci fait un geste très simple : il répand de l’eau sur tout le corps et on en ressort. Un geste qui pourrait prendre toutes sortes de significations, ( « Moi, je vous baptiste avec de l’eau ») geste en pleine nature, geste de désir lié à cette eau d’un fleuve qui suit son cours et qui ne revient jamais, comme la vie qui va.

A la sortie de cette expérience, les personnes baptisées devaient ressentir bien des sentiments : pour les uns, un sentiment de joie, pour d’autres un certain confort, un bien-être, peut-être aussi de l’indifférence pour certains. L’évangéliste Luc semble nous dire qu’il s’est passé, pour plusieurs, quelque chose de profond, de marquant dans ce geste. Il y avait chez certains une attente. Dans ce mouvement d’entrer dans l’eau du Jourdain, et d’en ressortir, est né un désir : changer de comportement, aller plus loin avec sa vie. De ce geste, surgit une question: « Que devons-nous faire? » C’est la question de chacune de nos vies, plus persistante à certains moments, à certains carrefours.

Que devons-nous faire? La réponse de Jean Baptiste vient spontanément :
« Que celui qui a deux vêtements,
Qu’il partage avec celui qui n’en a pas;
Et celui qui a de quoi manger,
Qu’il fasse de même! » « Ne faites ni violence ni tort à personne… »

La réponse peut nous paraître excessive, rapide, simpliste. On aurait envie de dire : la vie est tellement plus complexe. Et pourtant c’est à s’occuper de notre prochain, le plus proche ou le plus lointain, que la vie prend sens, que le salut se trace un chemin.

Quand, à l’approche de Noël, le groupe des adolescents de notre communauté nous offre d’acheter les décorations de Noël qu’ils ont fabriquées, pour aider des jeunes d’un quartier d’une ville du Honduras à connaître une meilleure qualité de vie, cela ne ressemble-t-il pas à ce que suggère Jean-Baptiste? Quand Marie Biemans demande, à l’occasion de Noël, d’apporter un cadeau non enveloppé pour les enfants de prisonniers ou de prisonnières, cela ne rejoint-il pas cette attitude de Jean? Quand Claire de Ravinel demande, au nom d’aide-partage, une télévision couleur ou un fauteuil pour une famille dans le besoin, cela ressemble à ce que Jean Baptiste demande. Quand on fait la guignolée, cela nous sensibilise au partage. C’est toujours à la même question qu’on tente de répondre : Que devons nous faire? Retrouver la sensibilité pour soi, pour les autres, pour leurs besoins et leurs désirs, les accueillir comme Jean-baptiste accueille, comme Dieu accueille. Tel est le sens du salut, d’une attente, d’un salut au ras de la vie, au ras du quotidien.

Jean a bien conscience qu’il ouvre un chemin, une route : il le crie même dans le désert, là où s’il s’y trouve quelqu’un, il risque de l’entendre. Au moins Dieu peut entendre ce cri : « Préparez la route… » Jean a conscience d’ouvrir un avenir. Il prépare la vie; il inspire une autre qualité de vie, une vie qui va vers une ouverture, une vie qui est salut, salut par l’autre et salut de l’autre; une vie qui apprend à faire attention à l’autre tout simplement, se saluer; voilà l’affaire de toute une vie.

Mais Jean prépare ainsi la venue de Jésus, celui qui nous ouvrira un sens infini à la vie, un espoir pour certains, une espérance pour d’autres. Jean a des airs de Messie qu’on attendait. Quand il parle, on croirait entendre Jésus. Mais ce n’est pas Jésus. Jean Baptiste n’est que la porte; il n’est que la voix qui permettra à plusieurs de reconnaître en Jésus, ce Messie qu’on attendait. Une foule, d’anonyme qu’elle est, commence à penser qu’il se passe quelque chose. Quand une foule est en attente de la Bonne Nouvelle, elle n’est plus anonyme; elle devient peut à peu un peuple, un peuple de Dieu. Jean s’adresse à des gens qu’on croyait incapables de changements :les publicains étaient considérés comme malhonnêtes, les soldats étaient des mercenaires d’Hérode. Pas grand-chose à attendre de ces personnes.

Mais à bien y penser, Jean Baptiste ne fait que rappeler ce que l’usure du quotidien aurait pu faire oublier. Il s’agit de poser des gestes et pas seulement de vouloir changer le monde, les mentalités, de changer de pratiques sociales. Comme on entend souvent quand on ne sait plus quoi faire ou qu’on n’a pas le goût de nous engager : « C’est un problème de société » . Voulant dire par là que d’autres plus compétents que moi s’en occuperont. Mais la Bonne Nouvelle qu’annonçe Jean, c’est que la situation avait assez duré et que chaque personne avait besoin de vivre libre : « Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et dans le feu… » Les images sont à la fois douces et fortes. Elles donnent à penser; elles inspirent notre façon de nous comporter dans la vie.

Tout à l’heure, au moment de partager le pain et la coupe, nous chanterons « Réjouis-toi fille de Sion ». Traditionnellement, ce troisième dimanche de l’Avent est appelé le dimanche de la joie. Il y a plus de joie à donner qu’à recevoir, rappelons-nous. Et l’expérience sait nous répondre. Prendre confiance en ses capacités, rester éveillés, être attentifs. A sa manière, Jean-Baptiste montre le chemin de la joie, l’attention à la vie, à l’autre, à Dieu. Il nous invite à meubler notre attente, à renouveler nos souhaits de la venue de Dieu, de son salut, un salut au ras de notre quotidien, quand : « celui ou celle qui a deux vêtements partage avec celui qui n’en a pas. »