Cet évangile selon Luc, comme les autres évangiles du 1er dimanche de l’Avent, nous rappelle que la vie du Peuple de Dieu - comme celle du monde - est une histoire, un drame qui avance par étapes;

- que cette histoire a une fin, c’est-à-dire non pas simplement un terme, un point final, mais d’abord un sens, un BUT, une orientation : la venue mystérieuse et certaine, discrète et éclatante, du Christ-Sauveur qui préside au déroulement de l’Histoire.

- et que cette « fin » du monde se réalise progressivement chaque jour : relevez vos têtes, soyez en éveil pour être debout en face du Fils de l’homme, jusqu’au terme de l’histoire que marquera le retour glorieux du Christ. Cette fin du monde est appelée dans l’Évangile : le jour du Christ Seigneur.

Eh oui ! En français le mot FIN est ambiguë : il peut s’entendre de deux manières différentes : la fin d’une chose et cela peut désigner sa mort, « cette chose a fini sa vie, elle a atteint son terme, elle n’a plus de raison d’être ». C’est la FIN-BOUT.

Mais la fin d’une chose peut désigner aussi sa finalité, ce pour quoi elle existe, ce qui soutient toutes les énergies qu’elle déploie. C’est la FIN-BUT.

Jésus annonce ici la double fin de Jérusalem et du Monde; pour les uns, cette catastrophe, cette destruction fera apparaître leur véritable fin : le BUT vers lequel se dirigeaient leur existence et leur histoire, soit la venue du Fils de l’homme. Cet évangile nous apprend donc à lire la vie des cités et des civilisations à la manière dont Jésus a appris et nous a appris à lire la vie humaine : la mort d’une personne ou d’une cité, le bout de l’Histoire ne sont pas le retour au néant, mais seulement la manifestation, la révélation d’une fin plus profonde, d’une FIN-BUT : le règne du Christ Jésus, le Seigneur.

Si bien que pour nous, durant cet Avent, veiller, ce pourrait être savoir lire la fin ultime des choses par delà leur fin immédiate; ce serait savoir par exemple que la mort n’est pas l’ultime réponse au sens des êtres et des choses; ce serait accepter nos morts à soi-même, comme celles de nos cités et de nos institutions, en apprenant à discerner derrière nos fins superficielles, une finalité, un but plus profond et plus décisif du règne de Dieu et de sa victoire sur le mal et sur toute mort, y compris la mort humaine. Si bien qu’en parlant d’elle, on devrait substituer à la vieille représentation du « dernier soir de notre vie temporelle » la perception neuve du « premier matin de notre éternité ». À bien y penser, la mort ne saurait « venir à bout » de ce qui est appelé à une vie en plénitude.

Évidemment cette attitude devant certaines morts est plus facile à dire qu’à adopter. Je pense ici à la mort de Léon Lafleur … Quoi dire ?

Sa mort nous rappelle avant tout que ce qu’il a éprouvé les jours qui ont précédé son suicide, nous pouvons l’éprouver, nous l’éprouvons même, chacun et chacune, à notre manière, à travers notre propre histoire personnelle : nous sommes des êtres fragiles et vulnérables, habités - certains jours - par la nuit autant que par la lumière, traversés par la douleur autant que par l’exultation d’exister et de vivre, tentés par le désespoir autant qu’animés par l’espérance.

Sa mort nous rappelle la face douloureuse et dramatique de notre vie terrestre qui nous laisse si désarmés, si faibles, si pauvres, si seuls. Et en raison de cette fragilité qui est la nôtre, nous communions à la souffrance qui fut la sienne, nous respectons fraternellement le mystère de sa mort qui nous échappe. Car nous sommes de la même humanité.

Et cependant, pour ses proches et pour nous qui restons, la mort n’a pas à l’emporter, mais la vie et dès maintenant. Le désespoir n’a pas à triompher, mais l’espérance, la petite fille espérance, frêle et fragile elle aussi comme une flamme dans notre nuit, mais qui ne cesse d’émerger des tempêtes médiatiques ou non, des orages, des secousses et des naufrages. Bien sûr, cette lueur cachée en nos profondeurs, il n’est pas facile de l’apercevoir - Qu’il est difficile d’espérer ! - tant il y a d’écrans, d’obstacles intérieurs et extérieurs qui nous la dissimulent cette lumière ténue. Et pourtant, ils sont bien là nos motifs de vivre, de croire à la vie et d’espérer en l’avenir, qui que nous soyons, au cœur même de nos existences heureuses et parfois tragiques.

Je laisse à l’Apôtre Paul de Tarse le dernier mot susceptible d’inspirer notre Avent, notre préparation à Noël et notre attente du Fils de l’homme.

En effet, c’est en espérance que nous sommes sauvés; or, voir son espérance réalisée, ce n’est plus de l’espérance : ce que l’on voit, pourquoi l’espérer encore ? Mais, espérant ce que nous ne voyons pas, c’est avec patience que nous l’attendons. (Romains VIII, 24-25)