Mais qui donc
es-tu?
«
Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la
vérité.» Tel était le désir de Jésus.
Ce fut le désir de toute sa vie. Pour célébrer la fête
du Christ-Roi, il était bon, je crois, de relire certains moments de sa
vie. On a écouté quelques passages où le peuple voulait
faire de Jésus leur roi. Vieux refrain, qui leur était chanté depuis
des siècles, puisque la royauté était très présente.
On a aussi écouté le silence de ces passages, ce qu’ils laissent
soupçonner comme interrogations; on a fait silence. Mais « qui donc
es-tu? », avons-nous chanté. On s’est souvenu de ce parcours
de Jésus qui l’a mené de sa naissance à sa mort. À vivre
ce temps de Parole, il y a de quoi éveiller notre étonnement. A
chaque fois, à chaque étape de sa vie où on a voulu le faire
roi, même en se moquant de lui dans un moment de dénuement extrême,
alors qu’il était sur la croix; à chaque fois, Jésus
s’est retiré ou bien il s’est tu. Comme s’il avait voulu
faire la vérité et la paix avec lui-même…
L’usage usé et le déficit du mot roi, de nos jours, nous
aident à chercher la véritable identité de Jésus:
Jésus est un passeur de vie, il est, pour reprendre l’expression
de Christian Bobin, le « Très-Bas ». Il a revêtu non
l’habit des rois, mais l’habit des petits, faisant signe ainsi à tout être
humain.; il est là pour révéler le sens de la vie, la vie
vraie.
C’est le génie de l’évangéliste Jean de nous
laisser sur une interrogation. C’est le travail de la foi de nous mettre
en recherche de l‘identité de Jésus. On assiste à un
bien drôle de dialogue entre Jésus et Pilate. Et quel dialogue!
C’est, entre Jésus et Pilate, un profond malentendu. Pilate interroge
Jésus : « Es-tu le roi des Juifs? » Jésus répond
: « Ma royauté n’est pas de ce monde ». C’est
une manière de nous faire comprendre qu’il n’est pas très
intéressé par la question. Jésus ne veut pas concurrencer
personne, pas même les rois en place. Et le dialogue continue…Pilate
interroge : « Tu es le roi? » Jésus répond… « C’est
toi qui le dis que je suis roi. » Pilate et Jésus: deux interprétations
de l’existence, deux visages de Dieu. Jésus lui indique qu’il
voit Dieu autrement. Tout autrement. A la limite Jésus ne refuse pas ce
titre, mais il est bien clair qu’il n’y accorde pas l’importance
que voudrait lui donner Pilate. Ce que Jésus veut avant tout, c’est
de rendre témoignage à la vérité, faire la vérité dans
ce monde. Il est prêt à aller jusqu à la mort et non d’abord
se faire proclamer roi.
Pour l’évangéliste Jean, Jésus est celui qui révèle
la vérité de Dieu. Une vérité au sens où l’entendait
la bible: une vérité qui est fidélité de Dieu, solidité de
son Alliance, fermeté de sa Promesse. C’est en tant que révélateur
de cette liberté que Jésus s’est livré. Jésus était
bien conscient que la seule voix de salut était celle de faire la vérité sur
soi-même. Nous sommes tous, chacune et chacun confrontés quotidiennement à cette
réalité : faire la vérité sur nous même, faire
la vérité sur Dieu et sur Jésus. Jésus soupçonnait
qu’il était une voix pour faire entendre cette vérité et
qu’il était prêt à mourir pour que la vérité se
fasse, rendre témoignage à la vie vraie, celle qui se construit
au quotidien de nos générosités, de nos regards, de nos
mains tendues.
En repassant
certains moments de la vie de Jésus, il me semble qu’on
peut se rendre compte qu’il y avait dans les personnes qui mettaient leur
confiance en lui, comme une attente significative. En effet, à chaque
fois qu’on le voyait, qu’il parlait aux foules, qu’ils guérissait,
qu’il comblait la faim, on voulait le faire roi…Intrigant. Nous ne
pouvons pas tellement comprendre si on ne situe pas ce passage dans un certain
esprit de la tradition du peule juif. Le roi était le lieutenant de Dieu,
celui qui tient lieu de Dieu; celui qui gouverne à la manière de
Dieu. Jésus ne voulait certainement pas prendre la place de Dieu; il voulait
le manifester au monde. C’est le peuple qui est au centre et non le roi.
Et ce royaume que Jésus proclame au milieu des siens est toujours à venir,
n’est-ce pas tout le tissu humain, plus ou moins organisé, qui nous
permet d’être nous-même, de devenir nous-mêmes dans le
respect de tous les autres? Entrer dans le royaume, c’est en quelque sorte
entrer dans ce pays qui nous est offert. Et c’est du royaume de Dieu dont
il s’agit.Jésus ne refuse pas le titre de roi auquel le gouverneur
romain accroche et semble tenir. Il déplace la question; il indique sa
préférence : il veut être témoin de la vérité.
Jésus le dit tout au long de sa vie : la vérité est toujours à chercher, à faire.
Dans ce sens, elle est ailleurs… Célébrer le royaume de Dieu,
ce n’est pas célébrer une organisation, c’est célébrer
une espérance, celle de notre libération, celle de notre liberté.
Alors, continuons à porter la question: pour moi, pour vous, pour nous,
qui est Jésus?