Fêter et mettre au monde

Une autre récit de naissance, celui de Jean le baptiseur. comme il y en a tant dans la Bible… Nous en aurions, nous aussi, à nous raconter de ces récits de naissance. Nous en avons tellement entendu. Et c’est toujours nouveau. Qu’Élisabeth enfante à son âge, et que le père retrouve l’usage de la parole, il y a de quoi réjouir les voisins et la famille. Quel sera le nom de cet enfant? Que va devenir cet enfant? Autant d’interrogations que les parents et les proches portent en ces moments. Et Jean-Baptiste, devenu adulte, a ouvert la voie, le chemin; il a travaillé cette terre qui a permis à Jésus de conduire son action, d’enfanter un monde nouveau dans lequel nous sommes. Il a ouvert des sentiers pour un Évangile qui tente de nous rejoindre depuis ce temps, et que nous voulons accueillir. C’est un récit plein d’humanité.

Si cette fête de la St-Jean nous rappelait qu’il n’est jamais trop tard pour nous mettre à l’écoute de nous-mêmes et des autres, pour ensemble mettre au monde, pour enfanter. Avons-nous encore le goût d’enfanter, d’ouvrir l’avenir? À certains moments de notre vie, il est vrai, on pourrait reprendre, pour nous-mêmes, la plainte d’Isaie : « Je me suis fatigué pour rien, c’est pour le néant, c’est en pure perte que j’ai usé de mes forces. » J’espère que ça ne nous arrive pas trop souvent…

La fête de la St-Jean nous rassemble pour que nous reprenions contact avec notre naissance, avec nos racines, pour revoir le chemin parcouru. Cette fête nous incite à continuer dans un contexte social, religieux et culturel en mouvement, pas toujours facile à évaluer, ne nous comptons pas d’histoire.

A bien y réfléchir, c’est quelque chose d’assez extraordinaire que, non seulement l’existence humaine de Jésus ait pris racine dans un terreau bien humain, celui de la famille de Joseph et de Marie, mais encore que son action au service de l’Évangile, ait pu s’enraciner dans une terre déjà toute remuée par l’action et la parole de Jean-Baptiste. Il y a là comme une marque propre de l’action de Dieu lui-même, quand il a voulu aller au bout de l’humanité dans la personne de Jésus.

Depuis les débuts de notre histoire en Nouvelle France, des femmes et des hommes, des mystiques, des missionnaires, des veuves, des célibataires, des prêtres, des religieuses et religieux, des bâtisseurs, quelques exploiteurs aussi, ont permis à ce pays de se construire. Comme Jean Baptiste, ils ont remué la terre. Ce sont des femmes et des hommes qui ont eu le goût d’enfanter, de mettre au monde. Et nous sommes là aujourd’hui, en cette fête, héritiers de leur travail. On est né, on a été mis en vie par des gens d’Église, qui ont pétri notre terre comme Jean Baptiste. Peut-être nous a-t-on transmis une image d’un Dieu de l’ordre et de la tranquillité! Mais nous avons, je pense, su réagir.

Ces fondateurs/trices ont été des humains et ont voulu, à leur façon, inscrire l’Évangile et ses valeurs dans cette histoire, dans notre histoire. A certains moments, ces femmes et ces hommes se sont probablement dit, comme on l’entend dans Isaïe: « je me suis fatigué pour rien. » Ils nous ont, somme toute, donnée le goût de certaines valeurs.

Et aujourd’hui, nous continuons la vie. On ne compte plus, chez-nous, les organismes de toutes sortes à l’œuvre dans nos milieux, qui tissent des liens et une vivante solidarité. Sur bien des questions d’humanité, nous sommes des vigilants, mais aussi parfois assez déroutants. Il y a toujours nos vieilles peurs, souvent notre manque de confiance. On s’entend dire aujourd’hui : « Moi je t’ai créé, ne t’inquiètes pas. Le fait que tu existes, tu as de la valeur. » Solidaire. Quoi qu’il arrive au Québec, le peuple a une force qui lui vient de ses heures de naissance et de son désir de vivre.

Cette fête de la Saint-Jean nous invite à continuer le travail d’enfantement dans un espace ouvert, où l’organisation de notre vie civique et religieuse nous interpelle. Nous avons des racines auxquelles nous devons faire confiance; nous avons à accueillir d’autres personnes et groupes qui ont d’autres racines. En les accueillant, nous avons à regarder avec des yeux neufs, ce que nous sommes, comment nous avons été fait, leur donner le goût de nos racines, de notre histoire pour qu’elle devienne, dans le respect mutuel, notre histoire commune, et qu’ensemble nous ayons du plaisir à vivre.

A mes yeux et vivant dans ce pays et à ce moment de notre histoire, cela veut dire que si nous voulons que l’Évangile ait des chances de s’enraciner, il nous faudra d’abord être présents à tout l’humain qui s’y élabore.

Tout comme Jean Baptiste, tout comme Jésus, nous veillons à mettre de l’avant les valeurs humaines les meilleures de notre tradition, ainsi que ces autres valeurs que l’évolution du monde dans lequel nous sommes partie prenante, nous donne de découvrir. Je pense aux valeurs d’accueil, de solidarité, d’une fraternité bien solide, de gratuité, de don de soi, de fidélité, de bonheur ouvert sur celui du voisin, et à tant d’autres valeurs dont dépend la qualité de notre vie, et qui devraient être les premières servies et qui ne sont pas des valeurs molles.

Bien sûr, nous vivons aussi dans un monde où la publicité, la consommation ont tendance à tourner chacun/ne de nous vers ses besoins, vers son bien-être, vers son profit. Il est loin d’être certain que même humainement, ce soit là le chemin le meilleur pour bâtir un peuple; et ce n’est certainement pas là le meilleur chemin pour préparer l’enracinement de l’Évangile.

Il faut de la tendresse pour tout ce qui est humain, une passion pour notre peuple toujours en devenir, toujours à redéfinir avec l’arrivée de nouveaux arrivants. Comme Élisabeth, nous avons tous et toutes à enfanter, à garder le goût de mettre au monde, de nous mettre au monde.

Une sorte de tendresse pour nous enraciner, et qui permette à l’Évangile de prendre, lui aussi, de plus en plus racine dans ce qu’il y a de meilleur dans notre terreau et en tenant compte des autres grands traditions religieuses qui sont venus nous rejoindre.

Si la fête de la St-Jean nous aide à approfondir, à élargir, à faire grandir cette tendresse et cette passion en nous, pour ce que nous sommes, elle aura été vraie. Comme Jean-Baptiste nous serons femmes et hommes selon le coeur de Dieu.. Notre communauté, dans une solidarité forte et une vigilance évangélique, pourra, elle aussi, traverser ce temps et nous mettre encore au monde.

« Écoutez-moi, îles lointaines… » Pour l’insulaire d’origine que je suis, je me sens interpellé. J’y entends un appel aux gens qui sont au loin, qui ont à traverser le pont, le fleuve, les océans, et qui deviennent nos proches, à construire la vie avec les gens de ce pays. Avons nous le goût et le désir de construire la vie ensemble, de vivre ensemble avec toutes nos différences?