L'AU-DELÀ DE NOS MOTS

Bienheureuse Trinité! Triangle sacré! Dieu a parlé. Il nous informe. Ses mots deviennent les nôtres. Invoquer la Trinité, c'est rejoindre Dieu dans son intimité. Les mystiques et les saints n'ont pas manqué de s'étonner de la richesse de la Parole de Dieu qui éclate en mille mots. Quand il s'agit de nommer Dieu, nous apprenons peu à peu que l'Éternel, le Tout-Puissant a les qualités du meilleur des pères et sans doute toutes les qualités des mères. Nous nous doutions, en outre, que cet univers magnifique qui nous entoure et nous enveloppe est habité par l'Esprit.

Dès lors, comment parler de Trinité sans nous leurrer? Comment, au pays de la foi, célébrer un seul Dieu en trois Personnes, au moment où la notion de personne est elle-même mise à l'épreuve? Le mot DIEU est malmené par les uns et par les autres. Est-ce abusif de notre bonne volonté de dialogue interreligieux de penser et de dire que nous nous sentons plus à l'aise d'invoquer la Trinité en l'an 2003 que le furent nos prédécesseurs des années 1000, qui se sont disputés sur la Trinité au point d'en devenir malades et de se diviser en Églises d'Orient et d'Occident? Peut-être que le temps est propice pour nous de faire appel non seulement aux lectures sacrées mais aussi aux mystiques, aux poètes, aux artistes de l'icône. Tout de suite, je citerais l'abbé Pierre dont on sait qu'il a les pieds bien ancrés dans la réalité:

Les théologiens ont péniblement inventé le mot faussement arithmétique, glacial, de Trinité, alors que c'est le Brasier de joie et d'énergie, incessantes. Le Père ne peut pas ne pas être en adoration devant la perfection infinie qu'il voit dans le Fils; le Fils ne peut pas ne pas être en adoration devant la perfection infinie qui est dans le Père; et l'Esprit, le «Vent», tel le souffle d'un baiser, selon l'image chère aux mystiques, l'Esprit n'est rien d'autre que le mouvement du Père et du Verbe s'aimant. Il est ce mouvement infini dans l'immuable. C'est la Vie, la vie intime de l'Éternel sur laquelle un petit coin du voile nous est levé pour nous faire percevoir la vie sans fin qui est dans cet éternel Amour.

(Testament, Paris, Bayard, 1994, p. 83)

Parlant de Trinité, la mystique Catherine de Sienne s'écrie : « Trinité! Océan profond! » La carmélite Élisabeth de la Trinité s'exclame elle aussi : « Ô mon Dieu, Mon Immuable! Ô Trinité que j'adore! Ô mes Trois, mon tout, ma béatitude, solitude infinie, immensité où je me perds, je me livre à vous comme une proie ensevelissez-vous en moi, pour que je m'ensevelisse en vous, en attendant d'aller contempler en votre lumière l'abîme de vos grandeurs. »

De toute manière, si nous pouvons célébrer aujourd'hui le mystère de Dieu et de ses noms les plus affectueux, Père, Mère, Fils, Esprit d'amour, nous le devons surtout à Jésus. Il a tellement insisté : « Croyez-moi, je suis dans le Père et le Père est en moi » (Jean 14, 11)… « Le Père et moi nous sommes UN (cf. Jn 10, 30)… « Je prierai le Père qui vous donnera le Paraclet, l'Esprit de vérité » (cf. Jn 14, 16-17). L'Esprit de Vérité « vous enseignera toute chose et vous rappellera ce que je vous ai dit » (Jn 14, 26).

Mystère de nos croyances les plus fondamentales qui touchent à la réputation et à la nature même de notre Dieu! C'est-à-dire que nous ne croyons plus au seul Dieu des montagnes, Créateur tout-puissant près du fleuve géant. Sans nier le Dieu de la Genèse, au contraire, nous croyons en un Dieu personnel, voire « socialisant », soucieux d'alliances, d'assemblées, de royaumes, de vie familiale… Notre Dieu est un dieu de convivialité, un Dieu relationnel.

Deux ou trois leçons sont à retenir. C'est à la tradition chrétienne la plus audacieuse, orientale en particulier, que nous devons de célébrer ainsi la Trinité Sainte. Un privilège. Nos frères et sœurs du judaïsme et de l'Islam ne peuvent pas nous suivre… Quel mystère! « Qui n'a pas fait l'expérience du mystère est comme un œil qui n'a pas vu la lumière. »

En même temps, cette croyance nous invite à quelques considérations sur nos manières de penser et d'agir entre nous, qui ne sont pas négligeables. La Trinité nous invite à célébrer notre propre personnalité, notre individualité, en même temps que l'altérité entre les personnes. Respect du mystère de chaque personne! Ensemble, si différents, et, pourtant, à bien des égards, uniques!

En contemplant la Trinité dans sa distinction des personnes et dans la diversité des rôles attribués à chacune d'elles, tout en gardant l'unité première, nous apprenons à ne pas avoir peur de nos différences, à résister aux modèles uniques. Nous apprenons à distinguer entre unité désirable et uniformité pratique. Nous apprenons à ne pas rêver en couleurs d'uniformité, de consensus, encore moins d'assimilation.

L'audition d'une musique d'atmosphère et d'appel à la méditation pourrait encore nous inviter au respect du mystère de la diversité. Une diversité respectée dans le même amour d'une mélodie unique d'Olivier Messiaen.