Croire n’est pas simple

« Heureux ceux qui croient sans avoir vu. » J’ai l’impression qu’en ajoutant cette réflexion, Jésus devait penser à nous aujourd’hui, et à tous ces croyantes et croyants des générations à venir qui n‘auront pas vécu ces jours qui ont suivi la mort et de la résurrection de Jésus, à nous qui n’aurons pas été de ce temps des apparitions. Le moins que l’on puisse dire, c’est que dans les premiers moments qui ont suivi la mort et la résurrection de Jésus, les disciples passent par toutes sortes d’émotions. C’est une suite pleine de surprises, d’inédits, de déceptions, de rumeurs. Il y a de la vie et en même temps plein d’interrogations qui se lèvent; des remises en question profondes, parce que les derniers jours de la vie de Jésus se sont drôlement terminés. On en a fait amplement mémoire, dans nos assemblées, lors des célébrations de la semaine dernière.

Ces premières heures après la résurrection sont des heures d’apprivoisement et d’une certaine façon de re-construction. C’est un temps où on sent le besoin de retrouver la paix après la mort et de se faire souhaiter la paix. Jour après jour, on prend conscience d’un nouvel esprit à vivre. Il y a quelque chose de la confiance que les disciples avaient mise en Jésus qui s’est dégonflée. Les disciples se sont eux-mêmes verrouillés. La confiance en Jésus, ils ont à la retrouver. Ils ont à s’apprivoiser à l’absence de Jésus et à un nouveau type de rapport avec lui dans la confiance et dans la foi. Ils font l’expérience que la foi n’était peut-être pas tout à fait ce qu’ils croyaient. La foi n’est pas de posséder l’autre, mais de le laisser aller pour que chacun et chacune naisse à cette expérience. La foi est marquée, au cœur de sa dynamique, d’une dimension d’absence qui ne doit plus jamais être occultée. L’autre en qui je crois, l’autre que j’appelle à venir en présence, est toujours à quelque par l’absent. La foi est à ce prix. C’est cette expérience que sont en train de vivre les premiers disciples; c’est cette expérience que nous sommes appelés à vivre, nous aussi aujourd’hui. Non, la foi n’est pas de l’ordre de la possession; la foi est de l’ordre de la dé-prise. Tel est le message de Jésus dans ses apparitions. Je suis présent au milieu de vous, à la condition que vous acceptiez aussi mon absence. C’est à travers vous que, pour la suite du temps, je serai présent. Ne cherchez pas ailleurs. La qualité de votre vie de foi en dépend.

Quelqu’un, pour essayer de mieux saisir ce qui se passe dans la relation nouvelle des disciples avec Jésus ressuscité prenait la comparaison suivante. C’est comme la relation à nos parents, plus on grandit plus la relation change de visages. Quand nous sommes enfants, il y a beaucoup de dépendance dans la relation aux parents; en devenant adulte, cette relation devient moins utilitaire; c’est une relation d’amitié, de confiance mutuelle. Et il se développe ce qu’on appelle un esprit familial. N’est-ce pas ce qui arrive aux premiers disciples? N’est pas cela une foi d’adulte?

Et dans tout ce brassage des premières heures dont nous font part Jean et bien d’autres, Thomas nous ressemble; il manifeste un certain réalisme, pour ne pas dire un scepticisme. A cet égard, il est notre jumeau dans la foi. Il devait aussi ressembler à bien des disciples de Jésus qui étaient à la fois en attente, déçu, un peu incrédule, à cause de la façon dont tout cela s’était terminé.

Lorsque Jésus apparaît, une deuxième fois, aux disciples enfermés, Thomas est là; il se sent reconnu par Jésus, comme Marie-Madeleine. N’est-ce pas cela la joie et la grâce de la résurrection? De finir et d’accepter de le reconnaître, lui Jésus, devenu autre, et de se sentir connu et reconnu de Lui. Jésus s’efface pour laisser la place aux disciples. C’est maintenant que vous commencez votre vie de foi . Il y a un deuil à faire. À quelque part, la foi est un deuil à faire de la possession de l’autre, d’une certaine présence de l’autre. Jésus est d’abord l’absent et sa présence sera bien différente de ce qu’elle a été. Comme les enfants qui deviennent adultes en regard de parents. Ce n’est plus le même type de relation, mais tout ce qui a été vécu auparavant est nécessaire pour que naisse cette nouvelle relation. C’est la foi issue de Pâques. Jésus ressuscité, ressuscite maintenant ceux et celles qui font le pari, même avec hésitations, à mettre leur foi en lui. Mais ces personnes doivent revoir leur rapport à Jésus. Il est maintenant et jusqu’à son retour l’absent-présent; après leur avoir été physiquement présent.

Thomas apprend également que la résurrection, c’est celle d’un Crucifié ressuscité : il est ressuscité ave ses plaies ouvertes : « vois mes mains et mes pieds toujours blessés et crois… » La résurrection nous dit que nous avons à reprendre cet itinéraire de Jésus, avec encore des moments de souffrances, avec nos blessures; mais elles sont marquées de vie et de résurrection même dans le plus noir.

Cette nouvelle dynamique de foi donne des moments extraordinaires que les évangélistes ont retenus. C’est ce que la première communauté a tenté de vivre et que nous retrouvons dans le texte des Actes des apôtres que nous allons entendre. Passage de vie un peu idyllique, mais bien des passages du Nouveau Testament se chargeront au fur et à mesure de nous montrer que la foi vécue au quotidien a aussi ses plaies. C’est un Crucifié qui est ressuscité. Mais on aura tenté de vivre de l’Esprit de Jésus à plein. Écoutons ce beau texte, un bon moment d’après-résurrection et un bon moment qui marque la prise de conscience de la responsabilité nouvelle des disciples. C’est dans et par leur façon de vivre que désormais le souvenir du Christ va se prolonger dans le monde et à travers les siècles. N’est-ce pas cela faire l’expérience de la résurrection? C’est un appel et un rappel pour nous aujourd’hui….