La situation est bien connue: Jésus est tellement occupé et entouré qu’il
est presque inaccessible. Alors des gens lui amènent un paralytique par
le toit de la maison et Jésus lui remet ses péchés et le
guérit de sa paralysie. C’est la réponse de Jésus à une
requête spéciale, mais pour bien comprendre la réponse, encore
faut-il bien saisir à quoi et à qui il a répondu. Quelle
sorte de personnes sont ces gens qui amènent le paralytique à Jésus
? À qui pourrions-nous les comparer dans notre monde actuel pour mieux
saisir qui ils étaient ?
Le texte nous fournit un seul indice : «voyant leur foi». Aux yeux
de Jésus, c’était des personnes de foi. Pour mieux les identifier,
on pourrait se demander quelle sorte de foi. D’après leur geste,
il s’agit d’une foi intéressée : ils ont trouvé un
moyen pour amener leur paralytique à Jésus afin qu’il le
guérisse. Et une foi pleine de confiance : ils croient que si Jésus
intervient, leur paralytique a des chances de s’en tirer. En somme une
foi qui ressemble à celle de plusieurs de nos contemporains dont nous
dénonçons l’attachement à des guérisseurs ou à des
gourous. Une foi qui n’est pas «théologiquement», spirituellement,
pure ; une foi qui ne passerait pas un test d’orthodoxie, mais une foi
forte, confiante et capable de mobiliser bien des énergies.
Une foi comme celle qui fait participer à des marches pour la paix, qui
fait s’engager dans des groupes populaires en quête de justice et
de solidarité , qui motive à s’inscrire dans des organismes
caritatifs et qui, par exemple, amène à écrire des lettres
pour Amnistie internationale. Une foi qui amène aussi des opposants à se
manifester, comme dans l’évangile de ce matin.
Avant d’arriver à ces autres intervenants, permettez-moi une remarque
sur le comportement de Jésus, en contraste avec celui de la semaine dernière.
Dimanche dernier, l’évangile de Marc nous rapportait la guérison
d’un lépreux. En colère et en le rudoyant, Jésus le
guérit et lui dit de ne pas parler de sa guérison. Aujourd’hui,
il est dit que devant la foi de ceux qui ont amené le paralytique, Jésus
commence par délivrer ce dernier de ses péchés. Autrement
dit, quand le vieux soupçon qui associe maladie et péché peut
intervenir, Jésus s’empresse de guérir le malade, mais quand
il n’en est pas question, il commence par remettre les péchés.
Comme s’il voulait qu’on comprenne vraiment ce qu’il est venu
faire : non pas distribuer les guérisons à tout venant, mais faire
prendre conscience que le règne du péché est terminé.
Jésus dit que le monde nouveau annoncé par Isaïe dans la première
lecture n’est pas seulement en germe, mais qu’il est arrivé.
C’est pour cela qu’il n’a pas immédiatement répondu
aux attentes de ceux qui avaient amené le paralytique devant lui. Ils
lui demandaient une guérison, il va d’abord leur rappeler que sa
mission consiste à leur faire prendre conscience qu’un monde nouveau
est advenu et qu’il lui revient de leur donner accès à ce
monde où le pardon a enlevé le péché. Et cela ne
passe pas inaperçu.
Les scribes qui sont là, et qui ressemblent aussi à de nos contemporains,
ceux que Drewermann a appelés les «fonctionnaires de Dieu» se
révoltent devant le geste de Jésus. Pour qui se prend-il d’oser
ainsi pardonner les péchés ? Cela n’appartient qu’à Dieu
et les paroles de Jésus l’expose inévitablement à l’accusation
de lèse divinité. Guérir un lépreux, comme dans l’évangile
de dimanche dernier, passe encore : les magiciens, les docteurs de l’époque,
s’y essayaient régulièrement. Mais remettre les péchés, ça
ce n’est pas pareil, et ce n’est pas acceptable.
C’est pour faire taire ces scribes prétentieux que Jésus
va finalement répondre à la requête formulée par les
porteurs du paralytique. Au nom du pouvoir que Jésus se reconnaît
de pardonner les péchés, il va guérir le paralytique pour
montrer l’efficacité de sa parole.
Et cela nous mène au bilan de notre petite histoire. Qu’est-ce que
les personnages impliqués peuvent en retirer. Commençons par les
cas les plus faciles. Le paralytique repart sur ses pieds et avec ses péchés
pardonnés. Le récit ne dit pas ce qu’il attendait, mais on
peut présumer qu’il est comblé, au-delà de ses attentes…
Les scribes ont moins de chance. Ils pensaient coincer
Jésus et ils se
sont fait mettre en échec. Leur stratégie n’a pas fonctionné,
au moins pour le moment. Ils sont donc avertis qu’il sera plus difficile
de démasquer ce prophète et l’histoire nous raconte que cet épisode
va leur permettre de raffiner leur approche.
Enfin les gens qui ont mené le paralytique auprès de Jésus
sont ceux dont la réaction est la moins évidente. À un premier
niveau, les choses semblent avoir marché exactement comme ils le souhaitaient
: Jésus a guéri leur paralytique. Mais quand on regarde le récit
de plus près, on voit que Jésus leur offre une occasion de comprendre,
de découvrir quelque chose de neuf dans cette expérience. Vont-ils être
capables de dépasser l’expérience du gain immédiat
et palpable, pour enregistrer le message offert par Jésus, à savoir
que le règne nouveau est commencé, que le pardon est disponible
et qu’il est permis d’espérer ?
En cela, ces gens qui ont porté le paralytique nous ressemblent. Ou plutôt,
leur situation peut nous permettre de comprendre la nôtre. Il nous arrive à nous
aussi d’entreprendre des démarches au nom de notre foi intéressée. À nous
aussi, des messages inattendus et imprévus sont offerts, des occasions
de purifier et d’approfondir notre foi, de corriger notre image du Dieu
de Jésus. Savons-nous en profiter ou nous contentons-nous de calculer
les pertes et profits encourus dans notre démarche ? Savons-nous interpréter
et comprendre les messages que Jésus nous présente en réponse à nos
démarches ou demeurons-nous en attente d’une réponse alignée
exactement sur notre demande ?
Comme au temps de sa vie sur terre, les relations avec
Jésus sont encore
exposées au succès ou à l’échec et le résultat
ne dépend pas que de lui. Nous devons savoir reconnaître son langage,
déchiffrer ses signes, interpréter ses gestes et demeurer ouvert à des
significations inédites. Le vie nous fait parfois passer par des chemins
encore plus surprenants que l’ouverture dans un toit. Nous attachons-nous
au caractère inédit de ces expériences ou nous efforçons-nous
d’y chercher Jésus ?