L'Évangile que nous avons lu était désigné naguère pour la lecture du 4ème dimanche du temps de l'Épiphanie. Ce deuxième chapitre de saint Luc nous rapporte tout ce que le Nouveau Testament nous donne à connaître de la petite enfance du Christ et des événements qui l'entourent. De là, nous sautons au récit du ministère de Jésus parmi les siens jusqu'à sa Passion, c'est-à-dire une période de quelques 18 mois. Entre les deux une lacune que les premières générations de croyants - et nous peut-être - auraient aimé pouvoir combler. Certains d'ailleurs s'empressèrent de répondre à cette curiosité. Mais le fruit de leurs souvenirs ou de leur imagination n'a pas été retenu parmi les textes rassemblés par le Canon des Saintes Écritures du Nouveau Testament. Les récits de la Nativité, de l'Épiphanie et de ce dimanche rendent tous compte d'une attente qui poignait les cœurs et les esprits des premiers témoins : les bergers gardaient leurs troupeaux dans la nuit, c'est-à-dire non seulement l'obscurité ambiante, mais sans doute aussi l'expression du caractère humble de leur métier et de sa routine lassante dont ils ne pouvaient imaginer la fin. Les mages venus d'Orient étaient des savants attentifs aux signes du temps et que rien n'arrêta lorsqu'ils cru-rent pouvoir trouver la réponse à ce qui était leur propre attente.. De Siméon et de la prophétesse Anne, Luc nous dit aussi qu'ils attendaient et depuis longtemps car, l'un comme l'autre étaient âgés.. Malachie, dans le texte que nous avons lu, rédigé quelques 400 ans avant la naissance de Jésus, répond à ceux qui « désirent le Seigneur... qui attendent un messager.» Ils étaient certes nombreux ceux qui attendaient un signe qui donne un sens à leur existence, une raison d'espérer et de se réjouir, au sein même de leur monde gris, répétitif et très souvent menaçant.

Je me demande s'il en va de même pour nous. Nous sommes certes mobilisés par les soins et les soucis de la vie quotidienne, requis par les questions du lendemain, angoissés sans doute par les menaces qui pèsent sur notre planète et que les media rendent chaque jour plus pressantes et des-tructrices.. Nous avons, nous aussi de très bonnes raisons d'attendre un message injecteur d'espé-rance, de confiance et mobilisateur de nos énergies. En fait, ce message nous parvient souvent, qu'il vienne des agents politiques, économiques ou plus simplement familiaux et, pour un temps au moins, il nous anime, nous remet en train. Mais est-ce bien ce genre d'impulsion, pour ne pas dire de libération que promettait le prophète et que reçurent les bergers, les mages, Siméon et, par la suite, tous ceux qui furent radicalement transformés par le témoignage rendus au Christ, à sa Parole, par ses premiers compagnons. Or, sur ceux qui «attendaient», nous avons l'avantage de connaître la réponse. Depuis vingt siècles, tous ceux qui appartiennent à cette famille de foi qu'on appelle l'Église ont été appelés à transmettre, de génération à génération, le récit de l'accomplis-sement de la promesse des prophètes par le seul et vrai Rédempteur. C'est une mission assez mo-deste, au fond, et je veux croire que chacun de nous veut en assumer sa part. Alors, que nous manque-t-il, pour susciter cette réflexion ironique d' un certain Nietzche qui disait : «Quand je verrai ceux qui se disent chrétiens montrer autre chose qu'un visage long comme un jour sans pain, alors je croirai peut-être à la Bonne nouvelle!» La réponse est sans doute dans le texte que nous avons lu et dans ce qui le précède. Il y est partout question de la lumière, une grande lumiè-re, et il ne s'agit pas seulement de l'éclat d'un jour sans nuage, ou de celui d'un astre dans la nuit, mais de cette lumière qui envahit et réchauffe le cœur, qui rend clair l'esprit dissipant toute espè-ce de doute, d'une lumière qui me possède tout entier pour me rendre libre tout entier. C'est la lumière de l'Esprit qu'invoque par deux fois au moins l'Évangile de ce dimanche. Cet Esprit, de-meure de Dieu en chacun de nous que nous prions ensemble afin qu'il veuille nous envahir, nous posséder corps et âme, pour que l'histoire de Jésus, Fils de Dieu devenu Fils de l'homme et vivant comme nous, parmi nous, devienne pour chacun de nous la Vérité, irrésistible et totalement libé-ratrice, définitivement. Que chacun de nous puisse dire, comme Siméon : «j'ai vu de mes propres yeux ton salut ». De mes propres yeux et pas seulement des yeux d'un autre, dont la conviction pourrait simplement nous étonner, comme le furent le père et la mère de Jésus en entendant Si-méon..

Pensez aux premiers disciples du Christ, particulièrement ceux qui le suivirent dès le début de son ministère. Ils l'ont entendu, ils l'ont vu guérir des malades, rendre la vie à Lazare. Ils l'ont cru et partagé tout avec lui jusqu'au dernier repas. Puis, certains au moins, ont été témoins de sa condamnation et de sa mort sur la croix. Alors leur courage est devenu crainte, ils se sont cachés pour se soustraire à un sort semblable, au moins jusqu'à ce que le Christ leur apparut vivant et leur permette de le toucher pour s'en convaincre. Jusqu'alors, et là encore, ils n'étaient que des disciples, des élèves qui avaient bien reçu la leçon du Maître; des disciples, autrement dit, en bon québécois, des «suiveux». Mais voici que survient l'événement de la Pentecôte, l'effusion de l'Es-prit de Dieu sur chacun d'eux.. Possédés désormais par cet Esprit, ces «suiveux» deviennent des « agents », agissant, parlant, témoignant comme le Christ lui-même le faisait. Et c'est leur parole, leur message de liberté que nous avons entendu pour beaucoup depuis notre tendre enfance. Au-jourd'hui, comme hier, comme depuis le jour de notre baptême, le même Esprit est sur nous, en nous, pour nous envahir de sa lumière et nous faire rayonner au bénéfice de notre prochain, pour que cette communauté de St-Albert suscite d'autres groupes de foi et de partage comme le fit celle de la Pentecôte. Car il n'y a pas d'autre moyen de faire grandir cette famille d'hommes et de femmes libres qui ont « vu le salut que Dieu a préparé devant tous les peuples » et dont ces peu-ples ont aujourd'hui tant besoin. Vous aurez certes raison de me dire : « Tout cela est fort beau et même séduisant, au moins tant que nous sommes réunis dans le confort relatif de ce lieu de prière et de communion... mais quoi de demain, des jours et des années qui viennent, lorsque faiblira peut-être l'assurance que nous donne notre sentiment d'appartenance ?» C'est vrai! Et Siméon l'a bien vu qui avertit : « Cet enfant sera un signe de Dieu auquel les gens s'opposeront.» Et à Marie : « La douleur te transpercera le cœur comme une épée.» Son Fils est passé par la mort et bien de ses témoins ont connu l'angoisse et souffert le martyre. Ce qui veut bien dire que la vie du croyant ne repose pas sur un lit de roses, je ne vous l'apprendrai pas.) Avant même que Siméon ne le signale, les récits de Luc et de Matthieu nous ont décrit les effets de la jalousie, de l'hostilité de certains pouvoirs : Le roi Hérode fait massacrer à Bethléhem tous les enfants de l'âge de l'en-fant adoré par les mages » Joseph et Marie ont du accepter l'exil.

Nous connaissons et connaîtrons tous des travers, des refus et des rebuffades » La conviction profonde et réconfortante n'est pas exempte et de doute, bien au contraire, et c'est en partie, je crois, ce qui fait vivre les théologiens ! La vie de la foi engendrée par l'Esprit de Dieu doit faire appel sans cesse à l'endurance, à la patience, à la solidarité de tous ceux qui partagent cette foi et en vivent.

C'est bien pourquoi nous sommes ici, ensemble, et surtout réunis autour de la table du Seigneur. Tandis que nous partageons le pain et le vin de la Cène et recevons mystérieusement le vrai corps et le vrai sang du Christ, nous devenons Lui comme Il est d'abord devenu nous, chacun de nous, et nous sommes solidement unis les uns aux autres, ce que les premiers chrétiens exprimaient en échangeant le « baiser de paix » au moment de l'Eucharistie. Dans ce sacrement et comme ce mot le signifie à l'origine, le Seigneur se donne pleinement à nous, comme nous nous donnons à lui et les uns aux autres. Puisse cette assurance nous imprégner de Sa lumière et que cette lumière se voie sur nos visages.