Il y a urgence en notre monde
On
l’a entendu bien des fois cet appel si pressant : « Les temps
sont accomplis, le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous
et croyez en la Bonne Nouvelle. » On a l’impression de retrouver
et de sentir l’atmosphère d’une manifestation de rue à Davos, à Porto
Allegre, à Montréal, à Washington, à Bagdad ou à Paris.
Pancartes en mains, on lance des appels pour la paix, pour une vie meilleure,
pour une mondialisation intelligente et respectueuse des personnes.
Il
y a des moments où certains passages d’Évangile, même
avec des mots qui peuvent paraître usés, vieillis, sont d’une
actualité criante et nous font prendre conscience combien les appels
de l’Évangile n’ont pas vieillis, et rejoignent notre temps
et notre situation sociale. Le passage de ce matin, tel un cri d’urgence,
m’apparaît en être un : « Les temps sont
accomplis, le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à la
Bonne Nouvelle. » Il en est de même du récit de Jonas,
ce vieux « Jonas dans la baleine » qui a marqué, pour
plusieurs générations, notre imaginaire d’enfant. On vient
d’entendre
un trop court extrait : « Encore quarante jours, et Ninive sera détruite! » Et
heureusement , les habitants de Ninive se sont réveillés.
C’est
un appel vigoureux à la conversion. La conversion, encore
un vieux mot qu’on a tellement rétréci. La conversion c’est
un mouvement : retournez-vous, interrogez votre façon de vivre, changez,
s’il le faut, de direction de vie, mettez-vous en route, car peut-être
ne vous êtes-vous pas arrêtés à quelque part! Cherchez
ce qu’il y a de meilleur en vous. Vous pouvez devenir les artisans d’un
ordre nouveau. Autrement dit, il n’en tient qu’à nous maintenant,
dans le souvenir du Dieu de Jésus, que l’histoire ne soit plus
un éternel
recommencement des mêmes travers, des mêmes guerres, des mêmes échecs.
Voir
la conversion sous un autre angle i.e. regarder comment Jésus a vécu
et comment il nous propose de vivre. Regarder autrement, pour nous intéresser à l’humain,
découvrir ce qu’il y a de meilleur en lui. N’est-ce pas cela
le règne de Dieu qui se fait tout proche. L’Évangile, les
traces de l’Évangile sont là et pas ailleurs : travailler
sur la qualité de vie et non sur le profit, le confort à tout
prix.
La
conversion, c’est aussi se donner du temps, des lieux, pour se rappeler
ensemble, comme nous le faisons le dimanche et surtout dans notre quotidien,
le sens que Jésus a donné à son action. C’est chercher
comment on peut changer collectivement et nous demander si au fond de nous-mêmes
nous avons envie de changer vraiment. Tel est, il me semble, l’appel, l’urgence
de la conversion. Et si tous les croyants dénonçaient les situations
et s’y engageaient…
Dans
l’Évangile de ce midi, les premiers à y répondre
ne sont pas des anonymes. Ils avaient certainement entendu parler de Jésus
et de son action. Ils ont des noms: ils s’appellent Simon, André,
Jacques et Jean. Ce sont des gens occupés, des pêcheurs en train
de faire leur métier : « Ils quittèrent leurs
filets et partirent. » Quitter
ce n’est pas nécessairement quitter son travail, ses proches,
mais beaucoup plus quitter certaines manières de penser, une façon
d’agir,
certaines manières de vivre que nous n’osons peut-être pas
remettre en question. N’est-ce pas cela l’appel, la vocation qui
nous concerne chacune et chacun. C’est souvent l‘urgence ressentie
dans une situation précise qui fait entendre un appel qui peut changer
notre vie. On a saisi sa vocation, un peu au vol.
C’est là certainement ce que peut vouloir dire pour nous aujourd’hui
ce règne de Dieu. Il est comme une humble semence enfouie et de sa lente
croissance. C’est cette croissance qu’il nous faut surveiller. Le
règne de Dieu est caché au coeur de nos vies, de ce qu’il
y a de meilleur dans nos vies. C’est ce qui nous fait déposer les
peurs, c’est ce qui nous empêche de nous endormir; c’est ce
qui cause parfois des surprises de nous voir nous réveiller comme un matin
de printemps où l’on découvre la semence qui grandit…
A
cet égard, je me permets de revenir sur l’histoire de Jonas. Une
autre histoire inventée, mais si belle de vérité et porteuse
d’une grande expérience, pour nous redire combien l’expérience
qui sous-tend ce récit est encore si près de nous. Jonas, c’est
la surprise du règne de Dieu en travail dans notre actualité.
Jonas
reçoit le message d’aller prêcher à Ninive, aujourd’hui
Mossoul, en Irak. L’ampleur et les risques de la tâche font peur à Jonas.
Il s’enfuit à Jaffa, dans les faubourgs de Tel-Aviv actuelle.
Il y trouve un bateau qui va l’emmener. Sur le bateau, Jonas fuira une
deuxième
fois… ce sera dans le sommeil. Une tempête ayant éclaté en
mer, Jonas descend dans la cale du navire pour dormir. Jonas fuit la réalité,
il fuit son Dieu. C’est ainsi que l’interprète le capitaine
du navire. C’est lui le coupable de la tempête. Pour calmer la
tempête
on tire au sort pour savoir qui sera jeté à l’eau. Et Jonas
est jeté à la mer. Et il y aura ensuite l’aventure dans
le grand poisson qui va l’engloutir pendant trois jours et trois nuits,
histoire de le faire réfléchir et de retrouver la prière.
Et ce sera de nouveau la case départ.
Comme
actualité, on ne peut pas mieux. Une fois rejeté par le
poisson, Jonas reçoit de nouveau le message de se rendre à Ninive,
ce qu’il fait. Et trop rapidement à son goût, les gens se
convertissent, Dieu se repent et revient sur sa décision de faire disparaître
Ninive. Jonas est déçu de la décision de Dieu. Il aurait
aimé que Dieu punisse quand même. Il n’acceptait pas se
laisser surprendre. Ici une image de Dieu est en cause. En somme, c’est
l’histoire
d’un prophète qui résiste à sa vocation de prophète
et ensuite qui reproche à Dieu le succès inattendu de sa prédication.
Cela donne à penser…
Ce
que j’aimerais tout simplement dire, en terminant, c’est qu’au-delà des
peurs, il y a une force de vie et de paix qui peut toujours et encore se développer.
Le règne de Dieu se trace une voie dans cette sorte d’ambiguïté qu’on
charrie à même nos vies. Il rejoint ce qu’il y a de meilleur
en nous et dans notre humanité. C’est ce que Jésus a voulu
vivre. La conversion, c’est nous retourner vers ce que Jésus a
vécu
pour donner à notre humanité cette foi en elle-même et
cette espérance d’une vie toujours meilleure à même
nos préoccupations. « Alors
laissant là dans leur barque leur père avec ses ouvriers, ils
partirent derrière lui. » L’évangéliste Marc
prend des raccourcis. Recevons cette image avec humour et espérance.