Deux disciples. Deux hommes.
Qui, sans doute, n’entendent pas se contenter
de ce qui est, de ce qui se présente à eux comme devant être
leur sort, leur vie, à jamais. Peut-être en ont-ils parlé entre
eux déjà, avant de se mettre à la suite et à l’écoute
de Jean-Baptiste. Ou peut-être se sont-ils rencontrés là,
dans l’entourage du Baptiste, et c’est alors que leur dialogue
a commencé. Deux hommes qui cherchent, écoutent, interrogent.
Ce n’est sans doute pas qu’ils veulent changer de condition sociale,
d’orientation de métier et de vie. Ils sont de leur milieu, dans
leur milieu. Mais ils espèrent un sens à tout cela, et la dimension
religieuse n’est pas absente de ce sens encore imprécis, toujours
fuyant. Hommes d’une terre, les pieds solidement posés sur cette
terre, ils ne recherchent pas l’aventure, le vagabondage spirituel. Ils
sont à l’écoute, en position d’écoute. Ils
ne sont pas enfermés dans un système clos de pensée, d’action,
de vérités toutes faites à l’avance, pas même
dans un système religieux déjà tout codifié qui
aurait réponse à tout. Ils écoutent. Et ils entendent
quand Jean-Baptiste, en des termes allusifs, assez mystérieux, leur
désigne cet autre homme qui est là, qui va et vient.
Ils le suivent cet homme. Attirés, intrigués déjà,
mais pas prêts tout de suite, sans plus d’attention ou d’examen, à se
déclarer ses disciples. C’est lui, l’homme qui va et vient,
qui prend l’initiative qui va déclencher un cheminement tout en
progression. Mais il ne force rien, il ne décide pas pour eux. Il questionne
seulement : Que cherchez-vous? La suite dépend d’eux, de leur
choix. Et voici que les deux hommes questionnent à leur tour : Où demeures-tu?
Comme une manière de demander : Qui es-tu? D’où es-tu?
Quelle est la source de ce que tu es, de ta force, de ton dynamisme? En quelles
valeurs es-tu situé, reposes-tu, au plus intime de toi-même? Demeurer. Être
stable, et fort, et fidèle, au plus profond des changements et des variations
de la route que l’on marche.
Et il invite : Venez, vous verrez.
Pendant une journée, ils vont rester
avec lui là où il demeure. Que s’est-il dit, que s’est-il
passé en cette journée? On ne le saura jamais. Sans doute, pourrait-on
dire, ils se sont apprivoisés. Lui, qui a posé son regard sur
eux, qui les a invités à le découvrir, il mesure qui ils
sont, quelle est la qualité de leur recherche, de leurs espoirs. Et
eux, ils l’ont écouté, ont commencé à le
connaître, à le mesurer aussi à l’échelle
de leurs espoirs et de leurs attentes. Et tout cela si bien, que le lendemain
ce sont eux, les deux hommes de l’entourage de Jean-Baptiste - celui
surtout dont on connaît le nom : André - qui vont inviter frères
et amis à venir voir où il demeure. Tout d’abord Simon,
qu’il appellera Pierre. Et puis, dans la suite du récit, Philippe
qui à son tour transmettra l’invitation à Nathanaël.
Mais toujours, il est là, Jésus, qui invite, qui, plus que tout,
pose son regard sur ces hommes. Comme avec Pierre. Comme avec Nathanaël
: Je t’ai vu déjà debout sous le figuier.
Il va et vient. Pendant des années il va venir et aller, mais plus seul
désormais : avec des disciples qui l’accompagnent, qui relaient
et prolongent ses paroles et ses gestes, qui demeurent avec lui.
Des récits d’appel des disciples, de vocations dirait-on. Des
récits également d’écoute, de questionnement, de
progression dans la foi qui peu à peu vient répondre à des
attentes, à une espérance. Avec des traits bien affirmés,
aisément décelables.
Lui, Jésus, au départ de tout, présent en tout. Lui, qui
pose son regard et qui invite. Mais toujours si discret : alors même
qu’il est la figure centrale, il reste comme en retrait pour laisser
libre, pour laisser à l’autre, aux autres, la liberté de
leur choix, de leur décision.
Et ceux qui seront les disciples,
qui décideront de se mettre à sa
suite, ils ne sont pas sortis de leur monde tout d’un coup par un ordre
incontournable qu’ils ne pouvaient prévoir. Déjà – sans
trop le savoir parfois, sans que cela soit pleinement conscient – déjà ils étaient
en position d’écoute, pas enfermés dans un monde ou un
système clos, immuable, impénétrable. Comme le jeune Samuel
de tout à l’heure. Le cœur est ouvert, prêt à répondre
aux appels, ne serait-ce que des appels à d’ordinaires services.
Ils ne réclament pas. Ils écoutent.
Et comme encore pour le jeune
Samuel, il y a des intermédiaires humains,
des êtres proches qui éclairent les démarches et les choix.
Pour Samuel, Élie; pour André et l’autre disciple, Jean-Baptiste;
pour Pierre, André.
Et puis, une décision qui, cependant reste ouverte sur bien des possibles
: ils demeurent avec lui. Ils apprennent à le connaître, à se
connaître aussi. Avec lui, par lui, ils s’apprivoisent. Et commence
un dialogue qui va se poursuivre, qui ne dit pas tout tout de suite. Un dialogue
qui va et vient, de l’un à l’autre, des uns aux autres.
Un dialogue qui fait découvrir toute l’étendue d’une
espérance, fait grandir et mûrir une foi qui veulent se communiquer, être
dites à d’autres encore qui viendront demeurer à leur tour
avec lui et avec ceux et celles qui deviennent de jour en jour, avec parfois
des pauses, des retours en arrière, mais sans cesse de mieux en mieux,
ses disciples.
À bien y penser, tout cela c’est aussi notre expérience de
croyants et de croyantes, notre marche toujours écoutante, attentive,
et parfois distraite. On apprend à demeurer avec lui, et de là viennent
nos départs vers nous-mêmes et vers les autres. Parle, ton serviteur écoute!
Avec, au fil du temps, plus de confiance, plus d’aptitude à prendre
des chemins que nous ne soupçonnions pas.
Un jour, dans une communauté de premiers croyants, de premières
croyantes, dans la communauté de Jean, l’apôtre, l’évangéliste,
la question a été posée : Comment devient-on disciple
de Jésus, comment est-on de ses disciples? Et alors est né le
récit des débuts, de ces deux hommes qui suivaient celui qui
allait et venait, qui s’est retourné et a posé sur eux
son regard. Et ce récit a été repris jusqu’à nous;
il sera repris au-delà de nous, par nous peut-être, mais toujours
au cœur de la vie quand elle sait ne pas se clore, quand elle sait demeurer
en position d’écoute.