Bien que la demande de Pierre Francou était de commenter le texte de Jérémie, Renaldo a plutôt orienté sa réflexion sur le texte de l’évangile (Matthieu 16, 21-25). J'ai décidé de publier son commentaire, même s'il ne porte pas directement sur le thème proposé pour ce 22e DTO. (Note de Jean-Robert Derome)
«...celui qui veut sauver sa vie la perdra… qui perd sa vie… la gardera. » (Mt 16, 25)
Cette phrase déroutante nous oblige à réfléchir pour en saisir toute la signification. Ne va-t-elle pas à l’encontre de tout ce qu’on nous a enseigné pour arriver au succès ? Mais la contradiction n’est peut-être qu’apparente, puisque Jésus nous interpelle sur l’intention ultime de nos actions. La réussite, oui, mais à quelle fin ? Pour le rehaussement de l’ego, ou au contraire pour contribuer au bien-être collectif ? L’altruisme n’est pas une qualité innée, mais plutôt acquise. Nous n’avons qu’à observer le comportement des jeunes enfants pour nous en convaincre, alors que l’apprentissage du partage, sinon du don, résulte de multiples efforts d’éducation de la part des parents. Et pourtant, la vie terrestre brève de Jésus, est un témoignage extrême de l’effet salvifique du don de soi. Peu d’entre nous, sont appelés à un don aussi total. Le sacrifice des moines trappistes du monastère de Tibhirine en Algérie en 1996 en est un exemple contemporain. Commençons plus modestement à offrir nos réalisations à nos proches, nos amis et à nos communautés.
Merci à toute l’équipe de nous donner l’occasion de piocher dans les tréfonds de nous-même avec des questions bien embarrassantes.
« Pour vous, qui suis-je ? Quelle clé pour connaître Jésus ? »
« Même les miettes sont bonnes… »
Les semaines passent. L’invitation à réfléchir se fait régulière. Réfléchir ? Non, laisser advenir, monter, l’écho de la Parole à travers les activités, l’agitation, le bruit ou le silence de la vie quotidienne.
On l’oublie, cette invitation, mais elle devient pressante, voire brûlante : « Ta parole est un feu brûlant dans mon cœur »
On pourrait croire que ce feu est réservé au cœur des mystiques. Marie de l’Incarnation écrit quelque part : « Mon corps lui-même semblait se consumer tous les jours peu à peu sous l’action de ce feu dévorant… ».
Ce feu, pour elle, c’est l'Amour, le Verbe incarné, mais aussi l’Esprit qui l’anime.
Et nous ? Et moi, petit être enlisé dans la boue des compromissions ? Je me sens si loin de ce « feu dévorant ». Et voilà que les amis de Saint-Albert m’y replacent et me convoquent à la source de moi-même.
Une source réchauffante qui indique sans doute la présence d'un feu, d’un foyer organisationnel invisible.
« Ta Parole est un feu brûlant dans mon cœur » ? Ma foi doit être bien tiède ! Je trouve que cette affirmation a une allure quelque peu mystique. Oui, la Parole de Jésus est dans mon cœur, mais plutôt comme un feu qui couve sous la cendre et qui peut se ranimer à l’occasion. Je l’entretiens par des lectures, des rencontres, la participation à des groupes de discussion. Je ne le cache pas, mais n’en fais pas nécessairement état publiquement. Il est là, ça suffit ; tant mieux si quelqu’un vient s’y réchauffer…
Ce texte me rappelle une expérience que j'ai eue quand j'étais adolescente. Un moment où je voulais abandonner la foi pour être plus libre, plus en phase avec le monde, et je n'ai pas été capable. Le Seigneur a réussi, mais il faut reconnaître qu'il n'a pas joué franc jeu. Il a usé de séduction… Toujours est-il que le feu allumé ce jour-là brûle encore. Et ce n'est pas par mes soins. Pas un incendie, pas un feu indomptable, mais une flamme têtue, qu'on croit éteinte et qui renaît sans cesse. Un genre de flamme olympique.
Est-ce que je fais fausse route, ou que quelque chose m’échappe que je ne comprends pas ? Ce passage de Jérémie me ramène, à chaque lecture, au Cantique des cantiques.
Ce qu’exprime Jérémie me parle de séduction, d’amour, d’une passion dévorante comme un feu brûlant, d’une parole qui aime, qui sauve, qui s’incruste dans le corps, qui s’enferme dans les os, un amour qui saisit tout l’être, et qui ne peut être maîtrisé.
L’amour du Seigneur pour les êtres humains saisit tout sur son passage, il imprègne le corps et l’âme d’un désir d’amour infini.
L’amour s’immisce dans chaque cellule, dans mes pensées, dans mon sommeil.
On a tous eu des moments où notre esprit s’emballe et notre cœur aussi. Des moments où on sent que notre cœur est un brouhaha qui pourrait nous submerger, un lieu où se mélangent désir (« tu m’as séduit, et j’ai été séduit ; tu m’as saisi, et tu as réussi ») et violence (« Violence et dévastation ! »)
Tout ça peut nous faire peur. Tellement, qu’on a tendance à rejeter ces pulsions, à y voir quelque chose de forcément mauvais, voire de diabolique. Quelque chose à réprimer, à contenir. Ou quelque chose de fou, de ridicule (« je suis exposé à la raillerie, tout le monde se moque de moi »).
Je crois que le texte de Jérémie nous invite au contraire à accueillir ces pulsions. À y déceler, avec confiance, un appel au-delà des mots : la parole de Dieu.
Bien sûr, rien n’est clair dans cette parole. C’est comme si elle était dans une autre langue : une langue faite de respirations, de murmures, de cris (« Chaque fois que j’ai à dire la parole, je dois crier »). De cœur qui bat à se rompre. Une langue plus originelle, plus élémentaire que tout langage humain.
Mais on n’a rien à redouter de cette parole qui brûle au fond de nos os, au fond de nos cœurs.
On peut s’y abandonner, avec la confiance que cette parole sera toujours « en son nom », que ces pensées seront toujours « à lui », vers lui.