Cette brochure reprend une série d’articles parus d’abord
dans Étapes, en 1987-1989, et consacrés à notre façon de
célébrer. Après tout, avec notre fraternité, ce qui
frappe les personnes qui passent ici le dimanche, c’est que notre façon
de célébrer est différente. Alors que certains ne s’y
retrouvent pas toujours, c’est précisément parce que c’est
différent que plusieurs ont choisi St-Albert et continuent d’y
venir.
Mais pourquoi est-ce différent?
C’est à cette question que cette brochure cherche à répondre.
La liturgie de la communauté St-Albert a été élaborée
avec elle par ANDRÉ GIGNAC qui
fut l’un des grands liturgistes du
Québec. Presque tout ce qui nous est particulier a un sens, que nous allons
découvrir, c’est à un précieux héritage que
nous avons été jusqu’ici fidèles. Cela ne signifie évidemment
pas que nous soyons enfermés dans une façon de faire figée
pour toujours : la communauté est tout à fait libre de modifier
sa façon de célébrer et de l’ajuster à ce qu’elle
devient. Mais si elle voulait le faire, ce ne devrait pas être à la
pièce, mais avec le même souci de cohérence que celui qui
a présidé à sa création.
La
clé maitresse qui donne
accès à la
cohérence de notre façon de célébrer, c’est
le mot EUCHARISTIE. Si nous nous rassemblons, c’est pour faire eucharistie.
C’est pour offrir à Dieu l’Eucharistie de son Fils. Comme
tous le savent, eucharistie signifie action de grâce. Lorsque les premiers
chrétiens s’assemblaient, c’était pour partager un
repas d’action de grâces. L’Eucharistie chrétienne
s’enracine elle-même dans la bénédiction, qui est
la prière juive par excellence (“Père, je te bénis...” Lc
10-21).
Cette conviction imprègne notre liturgie jusque dans des détails
de vocabulaire, de gestes et d’attitudes. Observons seulement que l’atmosphère
qui se dégage des textes, des chants, de la disposition des lieux, est
une atmosphère joyeuse, une atmosphère de fête. C’est
pourquoi, à l’exception de temps forts de pénitence comme
le carême, nous faisons peu de place aux rites pénitentiels. Nous
savons, bien sûr, que la vie n’est pas facile et que plusieurs
membres de la communauté passent par des moments de grande épreuve,
tout comme nous n’oublions pas le mal qui enserre le monde. Mais à la
lumière de la Résurrection du Christ, tout cela est porté et
soulevé dans l’action de grâce, confiants que nous sommes
que le mal et la mort n’ont pas le dernier mot. Se rassembler pour faire
eucharistie, c’est saisir l’ensemble de la vie et porter en Jésus
les joies, les réussites, les projets de chacun et chacune. C’est également
porter les peines, les misères, les contradictions et les échecs
de nos vies, de notre monde et de notre Église, en nous redisant notre
confiance que, dans le projet de Dieu, « le rire vaut mieux que les pleurs,
la communion est plus humaine que l’isolement et la vie, meilleure au
goût que la mort ».
Quand la saveur des choses
est déjà dans les mots
Cette belle expression empruntée à Yves Duteil introduit bien
une présentation de la façon dont, à St-Albert, nous disons
certaines choses. Dire certaines choses autrement n’est pas céder à un
simple caprice ou à un désir snob de nous distinguer. Il en va
de l’angle sous lequel nous cherchons à pénétrer,
en Église, le mystère de la relation à Dieu par Jésus-Christ.
Il
y a différentes façons de désigner l’acte central
du culte chrétien. Chacune met en relief une dimension du mystère. “Offrir
le Saint Sacrifice ne signifie pas la même chose que “prendre
part à la Sainte Cène” ou “assister à la
messe”. Aux tout débuts de l’histoire chrétienne,
on parlait de “fraction du pain”, de “repas du Seigneur”.
On pariait aussi d' “Eucharistie”. C’est cette expression
qui s’est imposée rapidement et a dominé la pratique des
trois premiers siècles. Ce n’est pas seulement pour renouer avec
la tradition la plus ancienne de l’Église qu’à St-Albert,
nous préférons parler de “célébration de
l’Eucharistie”. C’est aussi pour nous dire ce pourquoi
toujours nous nous rassemblons : rendre grâces à Dieu.
Nous
employons plus volontiers ce terme que celui de “célébrant” pour
désigner le prêtre durant la célébration liturgique.
C’est en effet toute la communauté qui célèbre
quand elle s’assemble pour rendre grâces à Dieu. D’ailleurs
dans les Églises d’Orient, on désigne le rite eucharistique
par le mot “liturgie”, mais aussi par le terme “synaxe” qui
signifie “assemblée”. Cette assemblée qui célèbre
ne le fait cependant pas de façon anarchique. Le prêtre préside
l’assemblée et sa prière.
Celui
qui préside l’assemblée est l’un de nous. Il
n’est pas au-dessus ou à part : c’est un baptisé,
membre de la communauté, qui a été désigné pour
le service de la communauté et dont la vie est “ordonnée” à ce
service. Voilà pourquoi quand notre célébration débute,
il se lève et se présente tout simplement au micro. Il n’entre
pas en “procession”. C’est la raison pour laquelle nous
ne parlons pas du chant d’entrée (le chant qui accompagne
ailleurs l’entrée solennelle du président). Nous parlons
du chant d’ouverture, car ce chant conclut habituellement le rite
d’ouverture
de la célébration. On pourrait mentionner en passant que
pour le chant qui souligne le cœur de l’Eucharistie, nous parlons
d’ “Acclamation
eucharistique” plutôt que de “Sanctus”. Si en
effet il nous arrive régulièrement d’utiliser les mots
traditionnels pour la louange (Saint! Saint! Saint! le Seigneur…), nous
utilisons tout
aussi bien d’autres acclamations pour nous unir dans la prière
de bénédiction et d’action de grâce.
Les premiers chrétiens répugnaient à parler d’autel et aimaient dire qu’ils n’avaient ni temple ni autel, Ils préféraient désigner sous son nom tout simple de table le meuble sur lequel sont déposés le pain et la coupe de l’Eucharistie. Cela évoquait bien sûr le repas de Jésus avec les siens et ce “repas du Seigneur” est assez vite disparu de l’usage. Cela évoque encore que la vie de foi est nourrie de la participation à l’Eucharistie, comme de la participation à la table de la Parole, dont nous parlions un peu plus loin. Si donc, à St-Albert, nous parlons peu de l’autel, c’est que la façon dont nous célébrons met moins en relief l’aspect sacrificiel de la célébration, aspect qui ne saurait jamais disparaître complètement par ailleurs.
Un
thème traditionnel préside à l’aménagement
de nos célébrations. C’est celui des deux tables. Les Anciens
parlaient volontiers de la “table de la Parole” et de la “table
de l’Eucharistie” pour désigner les modes symboliques par
lesquels Dieu nous nourrit dans la foi. Cette séquence remonte à la
plus haute antiquité et on la retrouve aussi bien dans les deux parties
du discours sur le pain de vie au chapitre 6 de l‘Évangile selon Jean
que dans le récit des disciples d’Emmaüs.
C’est pourquoi l’aménagement physique du lieu de la Parole
et du lieu de l’Eucharistie à St-Albert place les deux “tables” à une
même hauteur et sur une même ligne, aucune n’étant
en retrait par rapport à l’autre. À l’occasion, les
deux sont recouvertes d’un tissu de même couleur.
Il
est bon de rappeler ici que dans l’Antiquité chrétienne,
la table de la Parole était ouverte aux baptisés et aux catéchumènes,
mais que la table de l’Eucharistie était réservée
aux premiers. À la fin donc de la célébration de la Parole, les
catéchumènes quittaient l’assemblée et les baptisés
célébraient “le mystère de la foi”.
Avec
la disparition du catéchuménat, avec aussi la raréfaction
de la communion au cours du Moyen-Âge (au point qu’au XIIe siècle,
le concile de Latran dut formuler l’obligation de communier au moins
une fois par année), on vit la liturgie se (sur)charger de toutes sortes
de nouveautés qui finirent de masquer la cohérence
primitive
Le
désir d’une liturgie plus proche de celle des origines a donc
conduit à élaborer un schéma de célébration
dépouillé de beaucoup de ces éléments relativement
tardifs pour faire apparaître avec une plus grande clarté et une
plus grande sobriété la structure des “deux tables”.
Déjà la réforme liturgique avait commencé à supprimer
des rites comme ce qu’on appelait les “prières au bas de
l’autel”, le “dernier évangile" et les “prières
après la messe”, de même qu’un nombre impressionnant
de signes de croix, génuflexions, mouvements de bras ou de la tête
que le président de la célébration devait
accomplir.
C’est ce désir de conserver une structure dépouillée
d’ajouts ou de doublets qui explique l’absence des éléments
suivants que l’on trouve dans la plupart des paroisses. Le Gloire à Dieu
au plus haut des cieux, très belle prière introduite dans la
célébration vers le XIe siècle, qui anticipe la prière
eucharistique. Le Je crois en Dieu, qui appartient au rite du baptême
et qui n’a été introduit dans l’Eucharistie que durant
le Haut Moyen-Âge (et au XIe siècle seulement à Rome).
La procession d’offertoire et un rite élaboré d’offrande
qui apparaît au moment où on impose l’utilisation du pain
azyme (Xle siècle toujours). L’élévation du pain
et de la coupe de même que la sonnerie de cloches et les génuflexions
qui l’accompagnent tant pour le président que pour l’assemblée,
qui apparaissent encore plus tardivement XIIIe-XIVe siècle). Et surtout
les cinq rites pénitentiels qui viennent briser à plusieurs reprises
le mouvement originel de la liturgie : au début de la célébration,
avant la lecture de l’Evangile, au “lavement des mains” et
avant la communion (“Agneau de Dieu” et “Seigneur je ne
suis pas digne de vous recevoir”).
Cette énumération pourrait donner à penser que ceux qui
ont élaboré notre façon de célébrer refusaient
par principe tout ce qui avait été ajouté à compter
du Moyen-Âge. Mais le facteur chronologique ne fut pas déterminant.
C’est la connaissance de la façon dont les chrétiens du
premier siècle se nourrissaient à la table de la Parole et à celle
du pain et du vin eucharistique qui a présidé à la décision
de réintroduire des gestes importants comme la communion au pain et à la
coupe, et à celle de supprimer ou de laisser dans l’ombre des éléments
sans doute vénérables, mais qui ou bien surchargeaient la structure
de la célébration, ou bien en brisaient la dynamique
interne.
Comment
cette option de mettre en relief les dimensions de célébration
et d’action de grâce et de retrouver la dynamique des “deux
tables” se traduit-elle concrètement? Le schéma relativement
simple qui suit veut le faire voir. Il pourrait servir de point de référence
pour les nouveaux venus. On pourrait aussi y référer au moment
d’initier des enfants à la célébration de l’Eucharistie.
Les textes en italiques indiquent des parties de la célébration
qu’on pourrait qualifier de “mobiles”, parce que suivant
les circonstances, elles ne sont pas toujours présentes.
Dans
les temps pénitentiels et à certaines célébrations
où il
est en accord avec le thème du dimanche, rite pénitentiel
sous forme d’invocation.
Sobre
présentation, généralement
silencieuse, du pain et de la coupe, dans un geste solennel.
Parfois, prière sur les offrandes qui prépare à entrer dans
l’Eucharistie.
Prière solennelle de louange et de bénédiction pour l’œuvre de Dieu en notre faveur, centrée particulièrement sur la présence de Jésus parmi nous. Cette prière est entrecoupée d’au moins une grande acclamation chantée.
Ce récit que l’on présente comme un tout (sans trop dissocier la parole sur le pain de la parole sur la coupe) est souvent suivi d’une profonde inclinaison du président et de l’assemblée, puis du chant de l’anamnèse, dans lequel la communauté proclame ce qui, dans la foi, est rendu présent : la venue, la mort, la résurrection du Christ et l’anticipation de sa manifestation glorieuse.
C’est le moment de la prière de demande pour l’Église, pour la communauté, pour le monde. On y insère les “prières universelles”.
Malgré sa brièveté, c’est le sommet de la célébration, le moment où culmine l’action de grâces de la communauté.
La
communion est préparée par le chant du “Notre Père”.
Sa fonction est de signifier et de réaliser l’unité profonde
de la communauté dans le Christ et de la disposer ainsi à la
communion.
Le pain et les coupes sont préparés en silence pendant que l’assemblée
se recueille.
Le pain et la coupe sont portés à l’assemblée qui
communie en chantant un chant qui exprime le mystère auquel on communie.
La communion est suivie d’un moment de recueillement dans un silence
profond.
Ce moment se termine par une prière finale qui recueille, en quelque
sorte, la prière silencieuse de tous.
Les
avis adressés à la communauté, habituellement par
le président ou la présidente du Conseil de pastorale, font état
de la vitalité de la communauté à travers ses différentes
activités.
Le mot d’envoi par le président de la célébration
prend souvent la forme de la demande de la bénédiction
de Dieu.
Le partage fraternel autour d’un café ou parfois d’un apéritif
prolonge la célébration. C’est à ce moment que se
fait discrètement la collecte des contributions financières.
Selon
Justin (2e siècle), c’est une fois la célébration
terminée que “ceux qui sont dans l’abondance et qui le
veulent bien donnent chacun ce qui lui plaît, selon son propre choix.
Et ce qui est réuni est déposé près du président
et… il s’occupe de secourir tous ceux qui sont dans le besoin” (Apologie
1, 67). Ces offrandes ne sont pas faites à Dieu, comme le suggère
implicitement le fait d’associer la quête à l’Offertoire,
mais à la communauté : pour son fonctionnement et pour
le service de ceux qui sont dans le besoin.
Le
trait qui, plus que les autres, frappe celui ou celle qui se joint à nous
pour une première fois est probablement que nous prions avec nos propres
prières eucharistiques. Ces prières eucharistiques ont un certain
nombre de points en commun. D’abord leur mouvement. Elles suivent toutes
le même schéma, emprunté à la liturgie d’Hippolyte
(IIIe siècle) : d’abord l’action de grâces joyeuse
pour les dons de Dieu et de façon privilégiée pour Jésus,
puis le rappel du dernier repas du Seigneur, suivi de sobres prières
de demande, finalement la grande acclamation de louange. Notons que ce schéma
se retrouve dans les prières eucharistiques officielles du Missel romain à l’exception
du Canon romain.
Nos
prières eucharistiques ont aussi un même langage. Elles font
une large utilisation du langage poétique, évocateur, imagé.
Aussi bien ce langage que l’ensemble des gestes posés et des interventions
de l’assemblée cherchent à éviter la surcharge et
le style souvent ampoulé qui alourdit tant de célébrations.
Mentionnons encore que nos prières eucharistiques font une référence
fréquente au vécu concret et quotidien des personnes et des communautés.
Et il ne faut pas cacher qu’elles ont en commun leur originalité :
aucune ne se retrouve au répertoire officiel du Missel romain, même
si bien sûr l’un ou l’autre de nos présidents de célébration
peut puiser à celui-ci ou s’en inspirer très directement.
Il
convient de rappeler que le contexte qui a vu naître ces prières
est celui des années les plus actives et les plus créatrices
de la réforme liturgique dans l’Église romaine. Au cours
des années 1960, qui sont les premières années d’existence
de notre communauté, la liturgie commence à être célébrée
en français. L’unique prière eucharistique alors en vigueur,
le Canon romain, apparaît comme une prière riche et vénérable,
mais aussi lourde du poids des ans. Au moment de cette réforme, partout
dans le monde, des liturgistes, mais surtout des pasteurs et des communautés
chrétiennes comme la nôtre ressentaient le besoin de textes plus
simples, plus dépouillés, davantage portés par le mouvement
primitif d’action de grâces que le Canon qui s’inspire davantage
de la liturgie d’un sacrifice.
Le
pasteur de notre communauté, André Gignac, était professeur
de liturgie à l’Institut de pastorale du Collège dominicain.
Il possédait les qualités pour apporter sa contribution au mouvement
de créativité qui animait ces années déjà lointaines.
Bon connaisseur des liturgies primitives, portant à un haut degré le
sens du symbole, capable d’écriture poétique, André Gignac
a composé certaines des plus belles créations de cette époque.
Il s’est aussi inspiré de créations européennes
de qualité. Cela nous a donné, au fil des ans, un recueil d’une
trentaine de prières eucharistiques, parfois thématiques, souvent
destinées à une célébration particulière
(rentrée de la fin de l’été, Noël, Pâques,
funérailles...), toujours aussi modernes dans leur contenu que
traditionnelles dans leur esprit et dans leur forme.
Entraîner la communauté dans l’action de grâces en
utilisant ses mots et sa propre parole, c’était, pour André Gignac,
renouer avec cette tradition primitive dont Justin témoigne au IIe siècle
quand il écrit que le président de l’assemblée rend
grâces à Dieu “Autant qu’il le peut”, ce qui
est interprété comme signifiant qu’il le fait en improvisant
la prière. Les différents formulaires de la prière eucharistique
qui commencent à se fixer au IVe siècle sont le legs de ces hommes
inspirés à qui l’Esprit donne de savoir formuler la prière
de la communauté de telle sorte qu’elle s’y reconnaisse.
Les
autorités romaines ont mis fin à l’ère des créations
et notre pratique alternative fait l’objet d’une tolérance
bienveillante. À nous de porter notre héritage de façon
responsable et en en comprenant la richesse. Toute liturgie à St-Albert
est eucharistie de cette communauté et de ceux et celles qui se joignent à elle.
De cette communauté que nous avons sans cesse à inventer et qui,
reconnaissant les signes de la présence de Dieu aussi bien à travers
ses tâtonnements que ses réussites, se tourne vers lui pour le
bénir dans la grande acclamation qu’André Gignac nous a
appris à voir comme le sommet de la prière de l’assemblée
célébrante : “Par Jésus, avec lui et en lui, à toi,
Dieu Père tout puissant, dans l’unité du Saint Esprit,
tout honneur et toute gloire pour les siècles des siècles, AMEN!”.
C’est par ces mots que débute très souvent le rite de communion
dans notre communauté. Ils nous serviront à présenter
deux particularités de nos célébrations : la communion
au pain et à la coupe et l’utilisation de véritable pain
azyme. La communion au pain et à la coupe, dite encore communion sous
les deux espèces, est la règle dans la vie de notre communauté.
Cette façon de communier a été en vigueur dans toutes
les Églises d’Orient et d’Occident depuis les origines.
C’est à compter du XIIIe siècle seulement qu’elle
a été abandonnée dans l’Église latine et
l’une des revendications des Réformateurs au XVIe siècle était
précisément un retour à la communion à la
coupe.
Il
ne fait pas de doute que la communion au pain et à la coupe permet
de déployer toute la signification de la communion eucharistique. Elle
constitue un vestige plus éloquent du véritable repas qu’était
initialement “la fraction du pain” et se présente comme
obéissance à la parole du Seigneur : “Prenez, mangez…
Buvez-en tous…”. De plus, quand toute la communauté a accès à la
coupe comme au pain, l’égalité fondamentale des baptisés
est mieux affirmée que lorsque les ministres ordonnés, comme
par une sorte de privilège, sont seuls à communier
au sang du Seigneur.
Si
on en croit les historiens de la liturgie, ce n’est pas pour des raisons
théologiques, mais pour des raisons pratiques que l’on a fait
disparaître la communion à la coupe, comme la crainte des épidémies
ou le risque de renverser le précieux contenu de la coupe eucharistique.
Ce sont d’ailleurs ces raisons qui ont donné naissance dans les Églises
orientales à d’autres rites que le fait de boire directement à une
même coupe : communion par intinction, où le pain est trempé dans
le vin consacré, comme nous faisons à St-Albert, ou recours à une
petite cuiller pour verser une goutte de vin dans la bouche
des communiants.
Le
Concile Vatican II a voulu restaurer l’usage de la communion au vin
ou à la coupe. Il a d’abord rétabli le principe et indiqué un
certain nombre de circonstances où il souhaitait que cet usage soit
rétabli : c’est le cas des époux à la célébration
de leur mariage, par exemple. Puisque la liturgie à St-Albert est fortement
inspirée par un retour aux sources, il est normal que la communion sous
les deux espèces soit un des traits de notre façon de célébrer
auquel nous tenons sûrement le plus.
Comme
tous le savent, c’est en trempant le pain dans la coupe que nous
communions. Mais comme pour nous rappeler que le geste pourrait être
plus signifiant, nous essayons, aux grandes fêtes, de répondre
vraiment à l’appel du Seigneur “Prenez, buvez en tous…”.
Plusieurs formules ont été essayées à Noël,
au Jeudi Saint et durant la nuit de Pâques, entre autres celle d’utiliser
des centaines de petits verres portés sur des chariots. Cette façon
de faire comporte certains inconvénients, comme un bruit qui peut évoquer
une atmosphère de cafétéria ou de réfectoire, ou
encore la nécessité de laver dignement tous ces verres. On a
aussi fait circuler dans les bancs de petites coupes en laissant aux membres
de l’assemblée le choix de boire à la coupe ou d’y
tremper leur pain. Chose certaine, il serait dommage que les inconvénients
pratiques empêchent de chercher toujours à solenniser les grandes
fêtes par un rite plus explicite.
Un
mot maintenant du pain eucharistique. Il s’agit de pain azyme (sans
levain) mieux connu sous le nom de pain “pitta”. Même si,
ici encore, l’usage comporte certains inconvénients, comme le
fait que ce pain durcit très vite et se conserve mal dans la Réserve,
ou comme un prix d’achat plus élevé que les traditionnelles
hosties, nous y voyons plusieurs avantages. D’abord il s’agit clairement
de pain. Plus d’une personne souscrirait à la boutade qui veut
que le principal acte de foi d’un catholique au moment de communier n’est
pas de croire que le Christ est dans l’hostie, mais de croire que cette
hostie est, à l’origine, du pain! Nous renouons donc avec la matérialité du
symbole et pouvons entendre de façon plus vraie la parole du Seigneur : “Mon
corps est une véritable nourriture”. De plus, ce pain nous rappelle
les origines orientales de notre foi et l’enracinement historique du
dernier repas de Jésus.
On
ne peut présenter notre façon de célébrer sans
aborder les thèmes de la parole et du silence. La parole, parce qu’elle
cherche à être riche, et le silence, parce qu’il cherche à être
plein. C’est en grande partie la parole qui a donné naissance à notre
communauté. Au début des années 1960, des chrétiens
et des chrétiennes ont pris l’habitude de se déplacer, parfois
d’assez loin, pour venir entendre ici une parole signifiante et une parole
libérante. Les Dominicains sont, par vocation d’Église, des “frères
prêcheurs” et la communauté est née, a grandi et est
toujours nourrie de ce charisme. Fidèles à cette tradition de nos
origines, les Dominicains et les autres membres de la communauté qui sont
occasionnellement invités à faire l’homélie accordent
beaucoup d’importance à la qualité de la parole partagée
avec la communauté. Mais il y a plus que l’homélie. On cherche,
on vient de le voir, à ce que la prière aussi soit parlante, évocatrice,
poétique. Et il ne faut pas oublier les chant :
Muguette
et les chantres qui l’ont précédée peuvent
dire combien de chants ont été rejetés parce que les mots étaient
insipides ou insignifiants, ou encore combien de chants ont vu leurs paroles
remaniées et recomposées!
Nous
ne sommes heureusement pas la seule communauté chrétienne
où la parole soit signifiante. Mais nous sommes une des rares communautés
qui accorde au silence une place royale. Il faut le reconnaître, cela ne
passe jamais inaperçu pour ceux et celles qui participent pour une première
fois à nos assemblées. Il arrive même à certains de
s’inquiéter. Ils se demandent si quelqu’un n’a pas oublié qu’il
ou elle doit intervenir! Il y a, à chaque Eucharistie, un petit silence
et deux grands silences. Et il y a deux autres silences solennels dans la vie
de notre communauté.
Le “petit silence” est celui qui suit la première lecture
biblique. Habituellement, l’animatrice ou l’animateur du chant attend
de trente secondes à une minute pour succéder à la personne
qui a proclamé la lecture. Cet espace est comparable au silence qui sépare
deux mouvements dans une sonate ou un concerto. Il permet à la parole
de descendre sur la communauté et à ses harmoniques de finir de
réverbérer dans le cœur de chacun de ses membres. Il se peut
qu’il passe inaperçu. C’est quand on va dans une autre liturgie
et qu’on a le sentiment que l’enchaînement immédiat
du chant de méditation bouscule et violente qu’on réalise
l’importance du “petit silence de nos célébrations”.
Le
premier des grands silences est celui qui suit l’homélie. Soutenu
discrètement par l’orgue ou, occasionnellement, par un autre instrument,
c’est un temps de méditation et d’appropriation de la parole.
Nos célébrations sont des célébrations communautaires
et c’est à une communauté que la Parole est proposée.
Mais chacun, chacune la reçoit avec ce qui fait de sa vie une vie unique :
il y a les plus jeunes et les plus âgés, ceux qui sont dans l’épreuve
et ceux qui sont dans la joie, ceux qui marchent à tâtons et ceux
qui se savent portés par Dieu. Le grand silence qui conclut la célébration
de la Parole permet de s’approprier une parole de l’Évangile,
une expression heureuse de l’homélie, de s’en
nourrir ou de lutter avec elle…
Le
deuxième grand silence suit la communion. Ce n’est pas un temps
mort en attendant que ceux qui font le service de la communion terminent ce qu’ils
ont à faire. C’est un temps qui permet à la fois de se laisser
pénétrer par le mystère de la communion mystérieuse
que le Christ établit entre tous en faisant de nous son corps et de commencer à se
tourner vers la “vie réelle” qui est le lieu de nos véritables
communions et solidarités. La prière de conclusion que le président
prononce en restant assis, discret, alors que nous restons nous-mêmes assis,
ne vient pas briser ce silence, mais elle le conduit plutôt à son
achèvement.
Ces
trois silences sont assez caractéristiques de la liturgie à St-Albert.
Deux autres, plus rares et peut-être plus solennels, doivent être
mentionnés. Le premier se rencontre au moment de la célébration
du baptême. C’est dans un moment de silence que nous sommes invités à dire à Dieu
notre désaccord avec le mal sous toutes ses formes. Le silence a ici un
sens parce que la façon dont le mal nous séduit, ou nous menace,
ou nous blesse varie considérablement d’une personne à l’autre.
Chacune conduit sa vie au sein d’un réseau de résistances
et de compromissions qui est son secret, souvent pénible. Le renoncement
au mal, la décision de le combattre, gagnent parfois à être
affirmés publiquement : il est aussi heureux qu’ils
puissent se formuler dans le secret de la conscience.
Le
dernier silence solennel de nos rassemblements ne nous est pas propre. Nous
le partageons avec toutes
les Églises. C’est celui dans lequel nous
nous laissons plonger au moment où, dans la lecture du récit de
la Passion de Jésus, on évoque sa mort. Là toute parole
doit s’effacer devant la profondeur du mystère. C’est aussi,
comme nous allons le voir maintenant, le seul moment où nous posons le
geste classique de la pénitence et du repentir, celui de nous mettre à genoux.
On
imagine assez mal quelqu’un dont la position privilégiée
pour prier serait la jambe croisée, la tête renversée nonchalamment
en arrière, la nuque étant appuyée sur les deux mains. Sans
doute peut-on prier dans n’importe quelle position. Mais il en est qui
favorisent plus que d’autres la prière, tout comme il en est qui
expriment mieux le recueillement et d’autres qui expriment mieux la fête.
Dans
une assemblée liturgique, le fait d’adopter tous une même
attitude corporelle rend visible la communion dans une même prière.
Ne sommes-nous pas, ensemble, de façon réelle, le Corps du Christ
qui se tient devant Dieu? Examinons ensemble les différentes attitudes
corporelles de nos liturgies. Cela en donnera le sens et éclairera peut-être
ceux qui, venant à St-Albert pour une première fois, s’étonnent,
entre autres choses, que nous ne nous mettions pas à genoux, au moins
au moment du récit de l’institution eucharistique.
Dans
la Bible, c’est assis que
les disciples se mettent à l’écoute
de leur maître et reçoivent
son enseignement. Être assis
est donc une attitude de docilité qui
convient à la célébration
de la Parole, qu’il s’agisse
de la proclamation des lectures bibliques
ou de l’homélie.
La
position assise est aussi la position du recueillement. C’est celle
que nous réservons au chant de méditation inséré entre
les lectures bibliques. C’est aussi celle dans laquelle nous méditons
en silence, après la célébration de la Parole tout comme
après la communion. C’est l’attitude que nous adoptons durant
le geste de l’offrande et la prière qui le suit. Et c’est
bien sûr celle qui convient pour écouter les différentes
nouvelles concernant la vie de la communauté.
Voilà l’attitude principale de la prière liturgique. Être
debout correspond d’emblée à notre nature et a toujours beaucoup
de signification dans notre culture. Bien sûr, c’est debout que l’on
fait la file en attendant l’autobus, et cela n’a pas de signification
symbolique. Mais c’est debout que nous applaudissons une performance artistique
qui nous a comblés, comme c’est spontanément que la foule
se (sou)lève de joie lorsqu’un but est compté au hockey.
C’est surtout debout que nous nous tenons en présence d’une
personnalité importante ou lors d’événements particulièrement
solennels.
Déjà pour des raisons culturelles, il conviendrait donc que ce
soit debout que nous passions presque toute notre célébration :
au moment où nous nous unissons pour la prière et le chant d’ouverture,
au moment de la proclamation de l’Évangile et, surtout, durant la
prière eucharistique.
Mais
il y a plus. La position debout était, à l’époque
biblique et est toujours, aujourd’hui, la position habituelle de la prière
juive. C’était aussi la position dans laquelle priaient les chrétiens
des premiers siècles. Au troisième siècle, par exemple,
Tertullien rappelle qu’il est interdit de se mettre à genoux le
dimanche et durant toute la durée du temps pascal et il mentionne que
cette coutume est fort ancienne. Les Pères de l’Église insistent
avec fierté pour dire qu’en Jésus-Christ, nous pouvons nous
tenir debout devant Dieu, avec une joyeuse assurance, sans crainte, comme des
personnes admises à son intimité et à sa familiarité.
Aussi
devons-nous considérer l’attitude debout comme une véritable
proclamation de notre dignité d’enfants de Dieu. C’est l’attitude
qui convient en présence du sacré et c’est celle qui est
la plus appropriée dans une communauté qui se réunit essentiellement
pour rendre grâces, louer et célébrer.
C’est tardivement que la position à genoux en est venue à prendre,
dans la liturgie latine, la place que nous lui avons jadis donnée et qui
signifiait de façon indistincte la supplication et l’adoration.
Notons que dans la tradition biblique, l’attitude corporelle de l’adoration
est la prostration, comme on voit encore les Musulmans se prosterner au cours
de leur prière. À St-Albert, il arrive que le prêtre qui
préside la célébration s’incline profondément
après avoir prononcé les paroles du Seigneur sur le pain et sur
la coupe, et plusieurs membres de l’assemblée ont pris l’habitude
de l’imiter.
Nous
avons vu que les premiers chrétiens évitaient de se mettre à genoux
les dimanches et durant le temps pascal. C’est que la position à genoux
est essentiellement une attitude qui exprime la pénitence, le repentir,
le deuil. Telle est habituellement sa signification dans la Bible. C’est
une attitude de supplication.
< À
St-Albert, notre liturgie cherche, nous l’avons vu, à s’inspirer
des origines et à centrer toute la célébration sur l’action
de grâce. Aussi ne nous mettons-nous à genoux que deux fois dans
l’année : lors de la proclamation de la Passion du Christ, après
la relation de sa mort, et parfois au cours des grandes prières universelles
d’intercession au cours de la célébration
du Vendredi Saint
La
célébration de Noël à St-Albert commence… le quatrième
dimanche de l’Avent. Ce jour-là, tous les membres de l’assemblée
sont invités à retrouver un cœur d’enfant. La célébration
du quatrième dimanche de l’Avent est en effet conçue en fonction
des enfants et des jeunes de la communauté. La liturgie de la Parole prend
la forme d’un conte, ou parfois d’un jeu liturgique. D’année
en année, on innove! Mais toujours, le mystère de Noël est
annoncé, préparé et presque célébré.
Cette célébration dérange parfois des adultes dans leur
sérieux et leur préférence pour le discours abstrait et
pour les rites familiers. Au total, c’est un précieux exercice pour
abandonner ses sécurités familières et entrer dans le mystère
de la Nouveauté que seuls ceux qui deviennent semblables aux petits enfants
peuvent goûter.
La
célébration de la nuit de Noël commence par une demi-heure
musicale dont le déroulement est, lui aussi, renouvelé à chaque
année. Parfois on alterne des chants populaires et des pièces jouées à l’orgue
et à d’autres intruments. Parfois on met l’accent sur la méditation
soutenue par la musique. Cette demi-heure permet à l’assemblée
de préparer son coeur à la Fête… et croyez-le ou non,
pour certains, c’est le seul véritable moment de préparation
intérieure à Noël…
La
célébration de Noël proprement dite est parfois marquée
par l’arrivée des enfants qui apportent à la crèche
l’image de l’Enfant Jésus ou complètent à ce
moment la décoration de l’église. L’ensemble de la
célébration suit le schéma des célébrations
habituelles de la communauté. On essaie bien sûr de solenniser le
chant. D’ailleurs, c’est traditionnellement autour d’un chant
que la célébration est unifiée : “Un enfant nous est
né, un fils nous est donné, éternelle est sa puissance!” Telle
une berceuse chantée dans la nuit, ce refrain tiré du Livre d’lsaïe
ponctue aussi bien la célébration de la Parole que la prière
eucharistique.
Certains
s’étonnent de retrouver peu de chants traditionnels de
Noël au cours de la célébration. Il faut reconnaître
que les paroles des chants traditionnels se prêtent mal à la fonction
du chant dans la liturgie. Aussi les retrouve-t-on plutôt avant et surtout à la
fin de la célébration liturgique
au sens strict.
La
prière eucharistique de Noël est d’une grande beauté et
d’une grande simplicité. Elle s’élance à partir
de tout ce que soulève en nous la fête : les souvenirs d’enfance,
la joie et l’enchantement. Elle se centre tout de suite sur Jésus
et sur la signification de sa venue : “Naissant à notre vie pour
l’ouvrir sur la tienne, tu as libéré notre avenir”.
Au moment de la supplication, elle n’oublie ni le monde auquel nous pensons,
cette nuit-là, avec l’affection de Dieu lui-même, ni l’Église
que Noël invite à être “humble présence au monde”,
ni la réconciliation interpersonnelle à laquelle invite souvent
Noël, tant dans les familles qu’entre les peuples, ni ceux qui sont
morts et dont l’absence assombrit souvent la fête.
Comme
on l’a vu plus haut, il arrive que l’on cherche à donner
plus de solennité au rite de la communion sous les deux espèces.
Mais cela dépend de plusieurs facteurs : personnalité du président
de la célébration, nombre de bénévoles, réflexions
du comité de liturgie, etc.
Un
des traits les plus frappants
de nos célébrations de Noël
est l’échange de vœux. Très souvent, cet échange
prend place tout de suite après l’homélie. En nous déplaçant à travers
l’église pour souhaiter Joyeux Noël aux visages connus comme
aux visiteurs de passage, nous sommes un peu comme les bergers qui, ayant contemplé le
mystère, s’en vont “célébrant la grandeur de
Dieu et le louant pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu” (Lc
220). C’est alors notre façon de prolonger la Bonne Nouvelle, de
nous la transmettre en exprimant de façon très explicite la fraternité de
ceux que rassemble la foi en Jésus. L’échange de vœux
resserre ces liens et, après un moment de recueillement, l’on passe à l’Eucharistie
dans un véritable esprit de fête. D’autres années,
on cherche à tenir plutôt compte des réticences de plusieurs
membres de la communauté qui estiment que ce grand brouhaha brise le rythme
de la célébration et en particulier met fin au climat de recueillement
créé par l’homélie. Aussi l’échange de
vœux se fait-il alors à la toute fin de la célébration.
Si elle perd un peu de la signification exposée plus haut, si plusieurs
personnes s’échappent alors rapidement de l’église
et ne peuvent être rejointes, la tradition de l’échange de
vœux ne perd pas pour autant sa richesse. Placée à la fin
de la célébration, elle apparaît alors comme un éclatement
de la fête et comme une introduction au réveillon fraternel qui
suit. Car il y a toujours réveillon auquel tous et toutes sont conviés,
membres de la communauté et visiteurs d’une nuit, Quelle meilleure
façon de rappeler que c’est d’Incarnation qu’il s’agit…
La
célébration de la Pâque du Seigneur est l’objet
d’une liturgie à la fois sobre et très solennelle. Elle commence
le dimanche de la Passion, qui est un des deux dimanches de l’année
où les enfants occupent la première place dans le rassemblement
de la communauté. La liturgie se déroule comme à tous les
dimanches, à l’exception de la proclamation du récit de la
Passion. Ce qui est particulier à notre communauté, c’est
qu’il arrive souvent que le récit soit proclamé à rebours,
c’est-à-dire en commençant par la mort de Jésus pour
culminer dans le récit de l’entrée de Jésus à Jérusalem.
Acclamer alors le Christ, avec rameaux et sapinage à la main, c’est
entrer dans la Semaine Sainte comme il entre à Jérusalem. C’est
entrer avec des sentiments de louange et d’action de grâce dans ce
mystère du salut par la Croix qui vient d’être évoqué dans
la proclamation de l’Évangile
de la Passion.
La
célébration du Jeudi Saint est centrée sur la commémoration
du dernier repas de Jésus. Souvent, une grande table est dressée
sur toute la longueur de l’église. On cherche à créer
un climat de grand recueillement, en tamisant l’éclairage ou en
recourant au son du violoncelle. Mais la particularité la plus notable
consiste dans l’inversion des deux parties de la célébration.
Tout comme Jésus prit le repas avec les siens, puis prononça le “discours
après la Cène”, nous commençons par la prière
eucharistique et la communion. Nous cherchons à donner un relief particulier à la
communion au pain et à la coupe. Puis, nous prolongeons l’Eucharistie
par la proclamation et la méditation de larges extraits des paroles d’adieu
du Seigneur. Cette deuxième partie se déroule dans le plus grand
des recueillements. La plupart des lumières sont généralement éteintes
et le texte est lu lentement, alternant avec des pauses de silence ou de musique.
Souvent, un chant intitulé “Qui donc est Dieu?”, chanté sans
accompagnement, propose une méditation sur le sens des événements
célébrés. Le président de la célébration
proclame ensuite la “prière sacerdotale” qui conclut, dans
saint Jean, les derniers entretiens de Jésus. Enfin, un lecteur poursuit
par la proclamation des quelques versets de l’Évangile qui mentionnent
le passage de Jésus de la salle du repas au jardin de Gethsémani.
Et le président
se retire
en silence.
Car
pour bien signifier
que
le mystère de la Pâque du Christ est
unique, la célébration du jeudi n’a pas de conclusion et
celle du vendredi ne comporte ni introduction, ni conclusion. C’est comme
s’il y avait une unique célébration qui se déroulait
sur trois jours. Le Vendredi Saint, nous reprenons donc la célébration
là où nous l’avions laissée la veille, c’est-à-dire
par le récit de la prière de Jésus au jardin. Se succèdent,
dans un ordre qui varie souvent, les différentes parties de la célébration
du Vendredi Saint dans toutes les églises : proclamation de la Parole
(chant du Serviteur selon lsaïe et passion du Christ), vénération
de la croix, rite de la communion et prières universelles. Ce jour-là,
ces dernières revêtent une solennité toute spéciale.
C’est comme si les chrétiens du monde entier, d’aujourd’hui
et de tous les temps, rassemblés autour de la croix du Christ, portaient
devant Dieu le monde entier, avec ses grandeurs et ses espoirs mais aussi ses
misères et ses contradictions. La célébration se termine
sobrement par la lecture évangélique qui rappelle la mise au tombeau
du corps de Jésus. Puis, comme nous l’avons dit, le président
et l’assemblée
se retirent
en silence.
La
célébration de Pâques a lieu dans la nuit, comme il convient.
On y distingue, comme ailleurs, quatre parties bien distinctes : la célébration
de la lumière, la célébration de la Parole, la célébration
du baptême et la célébration de l’Eucharistie. On cherche à donner
du relief à la célébration de la lumière à cause
de sa forte puissance symbolique. C’est dans une église d’abord
plongée dans l’obscurité la plus complète possible,
où brille ensuite le cierge pascal, puis éclairée par la
simple lueur des centaines de bougies portées par chacun et de celles
qui sont fixées au mur que se déroule toute cette première
partie qui culmine dans une grande louange de la lumière. Pendant de nombreuses
années, c’est même exclusivement à la lumière
des bougies que se déroulait la célébration de la Parole
jusqu’à la proclamation de l’Évangile de la résurrection
et l’éclatement de l’Alleluia! Alors on allumait toutes les
lumières de l’église.
La
célébration de la Parole comprend toujours le récit de
la création, car selon la théologie chrétienne, la résurrection
constitue le début d’une nouvelle création. Nous lisons habituellement
le texte de la Genèse, entrecoupé souvent du refrain. “Il
y eut un soir, il y eut un matin, et Dieu vit que cela était bon”.
Il arrive toutefois de temps en temps qu’on lise une transposition de ce
récit tel qu’il nous est venu d’un pasteur noir. La deuxième
lecture raconte la sortie d’Egypte selon le livre de l’Exode. Mais
souvent, on lui préfère une partie du dialogue entre un garçon
juif et son père tel qu’il se trouve toujours dans le rituel juif
de la Pâque. Cette façon de faire nous invite à la communion
avec les croyants juifs de notre ville et du monde entier. Selon les années,
il peut y avoir encore une ou deux lectures bibliques avant celle qui dit la
visite des femmes au tombeau. Cette longue célébration rappelle
les origines chrétiennes où la célébration durait
jusqu’au
lever
du
soleil,
symbole
de
la
victoire
de
la
vie
sur
la
mort.
Nous
verrons
un
peu
plus
loin
comment
la
nuit
de
Pâques est l’un
des trois moments privilégiés pour la célébration
du baptême dans la communauté. Depuis les tout débuts de
l’Église, une des significations du baptême est une “plongée” (c’est
ce que signifie littéralement le mot grec “baptême”)
dans la mort et la résurrection du Christ. Pendant des siècles,
dans certaines Églises, la nuit de Pâques fut l’unique moment
où l’on célébrait normalement le baptême. Qu’il
y ait ou non des baptêmes cette nuit-là, une grande louange sur
l’eau est toujours prononcée et, après avoir invité l’assemblée à redire
son adhésion au Christ, le président parcourt l’église
jusqu’au fond en aspergeant généreusement la communauté en
rappel du baptême
de
chacun.
Il
arrive souvent
que la
célébration du baptême soit suivie
d’une période d’échange de la joie de Pâques.
Comme à Noël, on se déplace dans l’église pour
offrir aux uns et aux autres ses vœux. Lorsque cela se fait, on sent la
joie et la vie célébrée tout comme la lumière au
début de la célébration. L’échange de vœux
constitue une sorte de pause dans une célébration assez longue
et permet de préparer la table de l’Eucharistie pour la dernière
partie de la célébration. La prière eucharistique est souvent
entrecoupée de nombreuses acclamations de l’A
lleluia!
Et
lorsque suffisamment
de bénévoles ont rendu la chose possible,
la célébration se prolonge par un réveillon.
Le
baptême ou l’entrée
dans la communauté.
Même si nous ne refusons pas de baptiser à d’autres moments
que durant le rassemblement de toute la communauté, nous affichons une
nette préférence pour la célébration communautaire.
Traditionnellement, trois moments sont privilégiés dans l’année
et les parents sont encouragés à présenter leur enfant au
baptême à l’un de ces moments : Pâques, évidemment,
le dimanche de janvier où l’on rappelle le baptême de Jésus,
et un dimanche de fin-septembre début-octobre au moment où la communauté se “reconstitue”,
pour ainsi dire.
Il
s’agit bien de temps forts, de repères importants. Le baptême
est célébré au cœur de l’assemblée régulière.
C’est en effet un événement qui concerne l’ensemble
de la communauté : une personne lui est présentée, elle
l’accueille et s’engage envers elle. Si c’est un bébé,
ses parents sont généralement connus par la communauté.
Si c’est un enfant, il est généralement connu par certains
des autres enfants. Si c’est un adulte son parrain ou sa marraine sont
généralement des nôtres. C’est donc une fête
pour tous.
La
célébration du baptême d’un enfant met souvent à contribution
les enfants et les jeunes de notre communauté. Parfois, on les invite à tracer
le signe de la croix sur le front de la personne qui sera baptisée, ou
encore certains d’entre eux apportent et versent dans la vasque l’eau
du baptême. D’autres apportent la bougie du baptême ou un cadeau-souvenir
laissé par la communauté pour rappeler l’événement.
Quand elle a lieu, cette participation a beaucoup d’impact sur les enfants :
sans nécessairement pouvoir le dire de façon conceptuelle, ils “apprennent” ce
qu’est le baptême et, par conséquent, ce qu’est le leur.
Pour la communauté, la participation visible de ceux de ses membres qui
ont le plus récemment été baptisés symbolise la continuité de
la tradition : c’est l’avenir
qui est en train de
prendre
corps sous ses yeux.
Lorsque
cette façon de célébrer le baptême est impossible,
on cherche tout de même à en signifier la dimension communautaire
d’une autre façon. Par exemple, des membres de la communauté dont
l’enfant sera baptisé ailleurs sont invités à présenter
leur enfant à la communauté et à demander à cette
dernière de l’accueillir en son sein. Ou le baptême sera mentionné dans
les intentions de prière de la communauté pour que l’événement
ne passe pas inaperçu.
Le
déroulement du baptême demeure généralement sobre,
car on ne peut allonger inconsidérément le rassemblement dominical
dans lequel il s’insère. Les personnes qui seront baptisées
ou les parents, dans le cas d’un jeune enfant, sont longuement associées
au processus de préparation de la célébration. Elles explorent
la ou les significations que revêt pour elles le geste posé. Elles
cherchent quels textes, quelles musiques, quels symboles visuels seront les plus
aptes à les exprimer. Parfois, l’accent est mis sur le thème
de la vie, d’autres fois sur celui d’un héritage à transmettre,
d’autres fois encore sur celui de l’intégration à une
communauté vivante ou sur la dimension pascale du baptême. Si on
continue habituellement de baptiser en mouillant la tête de la personne,
il arrive aussi qu’un enfant soit baptisé par immersion, c’est-à-dire
en étant plongé dans
une grande cuve.
On
laisse souvent
aux baptisés un souvenir permanent de leur baptême.
D’abord, bien sûr, une bougie allumée au cierge pascal, souvent
assez grosse pour pouvoir être réutilisée, par exemple au
moment de la première communion et de la confirmation, ce qui symbolise
bien alors l’unité profonde des trois sacrements de l’initiation
chrétienne. Souvent aussi une jeune plante, symbole de vie qui croît,
mais à la condition de recevoir des soins et d’être placée
dans un environnement favorable. L’important, c’est
que ce souvenir soit
signifiant.
Nous pourrions encore parler du déroulement des célébrations de la Parole préparées pour les enfants de 5 à 12 ans, ou des rencontres dominicales des adolescents. Nous pourrions dire un mot des deux célébrations communautaires du pardon qui ont lieu en soirée, l’une avant Noël et l’autre durant le Carême. Mais cette brochure s’arrête ici. Car ce n’est pas en lisant sur la liturgie qu’on en goûte la richesse. C’est en y participant. Nous espérons que ces pages vous permettront de le faire en en retirant des fruits spirituels abondants.