Un pasteur d’une église protestante a raconté qu’une
des choses qui l’avait le plus aidé dans son ministère paroissial était
la question que son épouse lui posait quand elle n’avait pu participer à la
célébration dominicale qu’il présidait. La question
qu’il attendait était celle qu’on entend souvent : « Y
avait-il beaucoup de monde? » Mais celle qu’elle lui posait était
différente : « Est-ce que les gens ont vécu quelque
chose? » Cette question remet au centre la perspective de l’expérience
et va plus loin que les interrogations sur le nombre, l’esthétique,
la musique, l'homélie et l’intérêt. Mais ce n’est
pas la question?
Ainsi réfléchir à l’orientation à développer
pour l’avenir de la célébration eucharistique c’est
quant à moi, responsable de formation pastorale et théologique,
enrichir l’expérience à vivre et à faire vivre.
Par
quels apports?
Un premier apport concerne la densité catéchétique d’une
célébration, c’est-à-dire le chemin à parcourir
entre là où j’en suis, ma situation : heureux, satisfait,
inquiet, ennuyé, préoccupé, angoissé… et son
interprétation ou transformation par un acte de foi qui m’ouvre à un
autre horizon. Vivant dans un contexte culturel post chrétien, je dois
remonter le courant de la sagesse conventionnelle qui emporte le milieu, les
médias, les institutions. C’est autre chose que se rappeler une
information fut-elle religieuse, même un savoir, un souvenir; mais plutôt
une reconstruction de l'horizon sous lequel je mène ma vie. Il y a un
coin du vitrail qui passe du sombre à éclairé par une lumière
autre.
Cette reconstruction se réalise en mettant en relation mon histoire telle
que je me la raconte et l’histoire de Dieu qui peut devenir Parole de Dieu
pour moi et pour nous. Un chemin est à parcourir me faisant traverser
des étapes qui structurent une intelligence, non de la foi, mais par la
foi, et me fait entrer dans une prière croyante et chrétienne.
C’était en effet ce que les disciples, qui savaient pourtant « leurs » prières,
ont demandé à Jésus « Seigneur apprend-nous à prier… » Ainsi,
on accède à un horizon transformé,
l’horizon ici étant la limite extrême des données,
questions et réponses que peut atteindre quelqu’un à ce
moment.
Un second apport met en jeu la qualité tellurique et cosmique
de la représentation de la foi dans la liturgie et dans le religieux
moderne. C’est un fait que la représentation moderne du
cosmos véhiculée en arrière-fond de la liturgie,
des spiritualités et des théologies se sont centrées
sur l’humain, son intériorité et même son
salut individuel.
Remarquons comment nous glissons sans nous y arrêter sur les évocations
non anthropologiques des textes liturgiques. La Terre et le cosmos
ne sont qu’un décor pour l’histoire de l’humanité.
Or il nous arrive une double découverte depuis quelques décennies,
une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne, c’est la grandeur,
la majesté, la complexité de l’univers et surtout
que de fixe, il est devenu historique et évolutif et cela depuis
le Big Bang initial, il y a quatorze milliards et quelques millions
d’années. La mauvaise nouvelle, c’est la crise écologique
menaçant cette petite partie du cosmos qu’est notre Terre
où s’est produite une évolution vers
la vie organique. L’ère de l’innocence écologique
est bien terminée. L’humanité entière se
trouve aux prises avec des questions de survie.
Ces deux nouvelles ont pour résultat de changer notre rapport à l’univers
et à notre planète. Le défi est même plus
grand que celui de saint Augustin devant la chute de Rome et était-ce
la fin de la civilisation? ou bien celui de la Grande Peste de
la fin du Moyen-âge?
La pensée chrétienne est interrogée par ce contexte,
doit se reconstruire et en tenir compte dans ses spiritualités
et théologies, jusque dans ses expressions rituelles comme l’Eucharistie.
On se limite le plus souvent à une recherche éthique.
Mais ici aussi il faut dépasser l’horizon actuel pour
en inventer un autre qui repense la place de l’humain dans le
monde, la responsabilité de
son style de vie et même demande de retrouver la communion avec
la nature elle-même. Dans l’Eucharistie nous aurons à vivre
davantage ce que l’apôtre Paul affirmait : « la
création
attend avec impatience la révélation des fils de Dieu
[…..], elle garde l’espérance, car elle aussi sera
libérée de l’esclavage de la corruption[…]
Nous le savons en effet : la création tout entière
gémit
maintenant encore dans les douleurs de l’enfantement… » Rom 8,20 ss.
Que faire pour que « nous vivions quelque chose » dans
la célébration
eucharistique de l'avenir? L'ouvrir à la Parole de Dieu, histoire
de Dieu assumant nos histoires, et la déployer aussi dans le
nouveau rapport de l'humanité à sa Terre et au cosmos.
Gaston
Raymond o.p.