Nous sommes nés de cette eucharistie…
Lorsqu’en 1960, le couvent St-Albert-le-Grand a ouvert ses portes,
les religieux ont continué à pratiquer — ce
qui est une vieille tradition dans l’Ordre des frères
prêcheurs — l’accueil des « fidèles » à la
messe conventuelle dominicale. Ces fidèles venaient, à cette époque, « assister à la
messe des Dominicains ». Le chant grégorien était
fort bien interprété. Les Dominicains étaient
reconnus, partout dans le monde où ils s’étaient
implantés, pour la qualité de leur prédication.
Avec un brin d’humour, je dirais qu’on venait à la
célébration surtout pour entendre les homélies,
soit dit sans fausse modestie, souvent remarquables. C’était
aussi la manière de comprendre et de vivre la liturgie à cette époque.
Le souffle du Concile Vatican II
Les années ’60 ont vu la célébration du
Concile Vatican II. Le premier document que les évêques
présents au concile ont discuté a été celui
sur la liturgie. Dans ce document, publié en 1963, en plus de
voir l’entrée des langues vivantes dans les célébrations
eucharistiques et la refonte de tous
les
rituels (eucharistie, baptême,
mariage, etc.), on retrouve une affirmation forte, à mon avis
révolutionnaire, adressée à toutes les assemblées,
de favoriser « la participation pleine, consciente
et active aux célébrations liturgiques, qui est demandée
par la nature même de la liturgie… » (Constitution
sur la liturgie, n.14). Depuis la publication de ce document,
l’action liturgique n’est plus seulement la responsabilité des
prêtres et autres clercs, mais de tous les membres de l’assemblée.
Poussés par ce vent conciliaire, des laïcs, femmes et
hommes, qui venaient fréquemment « assister » aux
célébrations eucharistiques dominicales, ont pris au
sérieux les avancés du texte du Concile et ont voulu
faire naître une assemblée dans laquelle « la
participation active et consciente » serait pratiquée.
Peu à peu, après un bon temps de réflexion et
d’intenses et enrichissantes discussions entre les membres de
l’assemblée dominicale et la communauté des Dominicains,
on a senti le besoin d’aller un peu plus loin dans cette pratique
de la participation active et consciente. On a voulu créer une
seule et véritable assemblée avec les Dominicains et
non deux groupes, religieux et laïques, avec ce que cela supposait
de préparations en équipe, de participation à des activités
naissantes, etc. Le jeu n’a pas été facile, car
certains Dominicains se sont sentis bousculés. Mais la vie a été plus
forte et la foi aussi…
Vers la création d’une communauté non
territoriale
Les démarches ont été entreprises auprès
de l’Archevêché de Montréal pour faire reconnaître
cette assemblée eucharistique comme une véritable
communauté avec tous les droits et les devoirs. Ce qui fut
accordé en 1971. La communauté chrétienne Saint-Albert-le-Grand était
née juridiquement, mais en quelque sorte elle reste toujours à naître… Une
communauté chrétienne non territoriale avec la capacité de
célébrer les baptêmes, les mariages et tous les
autres rituels. La création d’une telle communauté était,
et à moins de me tromper, est encore une première
dans le diocèse de Montréal.
C’est de cette assemblée eucharistique dominicale que
la communauté est née et non l’inverse. D’où le
titre donné à cet article : Nous sommes nés
de cette eucharistie… Tout comme les premières communautés
chrétiennes sont nées de la pratique eucharistique dominicale.
Venant des quatre coins du Grand Montréal et même d’ailleurs,
la communauté est toujours dispersée. C’est l’assemblée
eucharistique du dimanche qui lui redonne sans cesse, tel un appel,
sa vitalité communautaire. L’eucharistie garde toujours
sa fonction de célébration gardant un esprit de créativité et
d’intelligence de la foi. C’est un moment et un lieu
qui invitent les membres à un partage plus grand dans
la société. C’est là, qu’à travers
les individus, la communauté garde un esprit ouvert à l’esprit
de l’Évangile. Il s’agit de ne jamais perdre la
mémoire des premiers gestes de Jésus repris par les premières
communautés chrétiennes et de les réinventer pour
aujourd’hui et demain.
Le souvenir des commencements
Au soir de la Cène, Jésus a réuni pour une dernière
fois ses disciples. Il a refait les gestes simples de la vie :
prendre le pain et la coupe de vin pour rappeler à ses disciples
que la vie n’aura de sens que dans le partage. En faisant ce
geste, Jésus exprimait le désir de voir les générations
croyantes faire de même : « Faites ceci en mémoire
de moi. ». Autrement dit, là où il y aura
partage dans la vie, je serai présent. Le dernier repas de Jésus
est apparu comme
un moment commun à son existence et à la nôtre.
Depuis ce jour de la Cène à jamais perdue, les femmes
et les hommes qui ont cru en la nouveauté de la vie de Jésus
ont voulu reprendre ce geste dans l’eucharistie, afin que la
mémoire de cet homme et du royaume ne se perde pas. Comme la
Bonne Nouvelle, la table a pris les proportions du monde avec les contradictions
qui l’habitent. On essaie d’éviter que cette table
et ce monde, ne se ferment à la vie, au partage, et même
souvent, trop souvent, à l’exclusion.
Chaque fois que nous nous réunissons pour célébrer
l’Eucharistie, c’est le souvenir de Jésus que nous
ouvrons et c’est à travers paroles et gestes, chants,
silences et écoute, que nous voulons retrouver ce sens
du partage du pain et du vin en mémoire de Lui.
Et l’avenir…
Il nous appartient, à nous de l’inventer en nous appuyant
sur les dimensions essentielles de la Tradition et l’expérience
des communautés chrétiennes tout au long de l’histoire.
On aura à user d’imagination, tout comme les premiers
membres de notre communauté qui ont mis au monde cette assemblée;
tout comme les premiers chrétiens ont dû inventer,
en puisant dans leurs traditions religieuses ou autres. Ensemble nous
aurons à prendre des risques « intelligents » dans
nos façons de mettre en scène notre assemblée.
J’ose espérer que nous aurons une foi et une espérance
assez profondes pour continuer encore et encore…
Guy
Lapointe o.p.