interpellÉe par les RÉALITÉS
culturelles et religieuses
La
prière de Jésus révélée au chapitre
17 de l’Évangile de Saint-Jean, à savoir que tous
sont un comme le Père et lui sont un, présente un défi
pour la vie spirituelle, pour la mission et pour les animateurs missionnaires.
Il découle de la prière de Jésus une vision de
la mission vécue à travers un « témoignage
commun », pour employer cette expression de David Bosch.
(1) Les missionnaires envoyés vers d’autres croyants,
en particulier, continuent à expérimenter, dans un apprentissage
jamais terminé, les conditions personnelles et communes au service
de la mission de Dieu.
Au Québec, dans le contexte ecclésial de ces dernières
années, la plupart des nouveaux projets d’évangélisation,
diocésains ou paroissiaux, ont été précédés
d’une étude du milieu, où figurent des statistiques
significatives sur la présence de non-catholiques dans leur
environnement. Il fut sans doute plus difficile et moins fréquent
de bâtir un projet pastoral permettant à une communauté chrétienne, à court
ou à long terme, de vivre une expérience œcuménique
ou interreligieuse. Toutefois, des expériences intéressantes
furent tentées. J’en noterais quelques-unes. D’abord à la
communauté chrétienne Saint-Albert-le-Grand et ensuite
au service de pastorale missionnaire du diocèse de Montréal.
Dans le premier cas et pendant au moins deux ans, d’octobre
1999 à juin 2001, la communauté chrétienne Saint-Albert
a appuyé, en s’en rendant partie prenante, la « Grande
tournée œcuménique » à Montréal.
Après avoir visité plusieurs lieux dans l’année,
la communauté accueillait aussi chez elle des représentants
de ces diverses Églises chrétiennes, à la fin
de chaque année. Madame Clotilde Pouliot a pu affirmer, dans
un de ses bilans, que cet engagement a contribué à mettre
la communauté en face de cette « réalité fascinante
et incontournable des nombreux visages de la chrétienté. » (2)
Cette communauté est allée plus loin au printemps et à l’automne
2006, en accueillant dans sa célébration eucharistique,
suivie d’un partage fraternel, un groupe de croyants monothéistes
en route pour Jérusalem. Au retour, ces personnes engagées
dans une perspective de paix ont eu l’opportunité de trouver
de nouveau dans la communauté, un intérêt respectueux
et une humble compréhension.
Dans le deuxième cas, un geste inhabituel fut posé lors
du lancement du thème du dimanche missionnaire mondial, en août
2001. En effet, une concertation entre l’équipe de Mission-Canada,
le Service diocésain de pastorale missionnaire à Montréal,
et un évêque émérite de l’Église
grecque orthodoxe d’Amérique, Mgr Emanuel Silva, a permis
de célébrer de façon concrète l’unité que
nous avons dans le Christ, avec les soixante-dix animatrices et animateurs
missionnaires réunis pour cette formation. Ce simple geste a
pu nous conscientiser à la possibilité de « faire
la pastorale de façon œcuménique ».
(3)
Qu’arrive-t-il maintenant en ce domaine? L’audace de l’entrée
dans les années 2000 se refroidirait-elle? Plusieurs éléments
entrent en ligne de compte. Par exemple, nous remarquons que
les formes traditionnelles d’animation missionnaire ainsi que
la nature des attentes des milieux qui accueillent se situent normalement à l’intérieur
d’une pluralité de visions et de dynamiques missionnaires.
Les animateurs et animatrices ponctuelles et les responsables réguliers
de la pastorale locale craindraient-ils d’être davantage
pro-actifs en ce domaine? Qu’aurions-nous à craindre d’inventer
des pistes inhabituelles pour l’animation missionnaire en tenant
compte des nombreux éléments provocateurs de changement
observés dans la société?
Pour en citer quelques-uns, notons le passage de l’école à la
paroisse pour la formation à la vie chrétienne des enfants;
la vie citoyenne au sein d’une société aux multiples
cultures et traditions religieuses; les résultats d’une « mondialisation
qui oscille entre un apport pour plus d’unité dans le
monde et une contribution à l’augmentation de la division
et de la fragmentation. » (4)
Comment les acteurs de la mission, réguliers ou ponctuels, composent-ils
avec ces réalités? Sommes-nous conscients de la
vision de la mission véhiculée par notre manière
d’être, à l’occasion de nos prises de position, à travers
la dynamique privilégiée en Église, dans les relations
apprivoisées ou non avec les autres croyants? Quelques
personnes s’interrogent même à savoir de quel
visage de Dieu elles témoignent.
À la fin d’une observation sérieuse de la dynamique
missionnaire historique, Jean Paré a tenté de discerner
ce que seraient les traits d’un nouveau visage pour la mission.
Dans les lignes qui suivent, je résume deux de ces traits en
rapport avec notre propos.
D’abord, « les missionnaires ne seront pas envoyés
par une religion ou par une Église », mais étant
tous considérés comme des envoyés de Dieu, ils
suivront le mouvement de l’humanité qui avance vers de
nouveaux horizons et accepteront « d’accompagner l’humanité dans
sa quête d’un plus être. » (5) Deuxièmement,
il s’agit de la participation de tous et des manières
de vivre la mission de Jésus de Nazareth, qui s’est toujours
voulue inclusive et participative. Les communautés chrétiennes
et « les communautés missionnaires doivent engager
le dialogue non seulement entre elles, mais aussi avec tous les groupes
humains, avec toutes les philosophies et visions du monde, avec toutes
les cultures, avec toutes les religions et spiritualités, même
avec celles et ceux qui n’en ont pas ou qui leur sont opposés.
Aujourd’hui la mission doit être conversation et collaboration
globales. » (6)
Enfin, la mission ne propose rien de moins qu’un « itinéraire
spirituel à la croisée des cultures et des religions ». (7)
Comment les chrétiens en général et les animateurs
missionnaires en particulier vivront-ils avec ce défi profond
et incontournable? À mon sens, cette question porte un appel à une
vie intérieure qui fait une place de choix au silence en même
temps qu’à l’écoute de l’autre comme
sujet, un sujet s’exprimant « selon le don de l’Esprit » reçu
personnellement. « On ne tue pas les différences
comme à Babel, c’est une nouvelle Pentecôte qui
est nécessaire chez nous, » selon l’expression
utilisée par Guy Lapointe dans son homélie de la Pentecôte. À moins
d’entrer résolument dans cette expérience libératrice,
comment pourrait-on entrevoir non seulement l’avenir de la mission,
mais aussi notre relation à Dieu lui-même?
(1) David Bosch, Dynamique de la mission chrétienne, Histoire
et avenir des modèles missionnaires, Genève, Labor&Fides,
1995, p. 615.
- Pauline Boilard, La mission, témoignage commun, dans L’animation
missionnaire : une affaire de spécialistes? Mémoire
de maîtrise présenté à la Faculté de
Théologie de l’Université de Montréal, juin
2002. pp. 51-54. Les pages 54 à 57 comportent une réflexion
sur les conséquences de cette vision sur les animateurs et animatrices
missionnaires.
(2) Clotilde Pouliot, Bulletin ÉTAPES, Communauté chrétienne
Saint-Albert-le-Grand, Montréal, sept. 2000, p. 4.
(3) Assemblée des Évêques du Québec, Guide
de pastorale œcuménique, Bibliothèque nationale
du Québec, 1993, p. 19.
(4) Cf Jean Paré, Défis à la mission du
troisième millénaire, Ed. Missionnaires de la Consolata,
Montréal, 2002, p. 293.
(5) Ibid., p. 314.
(6) Ibid., p. 352.
(7) Joseph Baxer, Vivre à l’interculturel, Robert Vachon :
un itinéraire spirituel à la croisée des cultures
et des religions, Médiaspaul, Montréal, 2007.
Pauline
Boilard, m.i.c.,