J'aurais voulu aller rencontrer ces femmes musulmanes à Hérouxville
pour partager leur culture et leurs recettes, mais surtout pour profiter
de l'occasion de leur expliquer notre devise Je me souviens.
Je me souviens que, dans mon jeune âge, nous ne pouvions
pas entrer à l'église sans avoir un voile ou un chapeau
sur la tête. À cette époque, je me souviens aussi
que c'était aussi un péché mortel de manger de
la viande le vendredi.
Dans la même décennie, je me souviens que ma
mère
a été chassée de l'Église parce qu'après
avoir mis au monde quatre enfants, elle ne voulait plus en avoir d'autres. Je
me souviens que pour cette raison, le pardon de ses fautes lui était
refusé par l'Église à moins qu'elle ne laisse son
corps à son mari, avec ou sans plaisir, au risque d'atteindre
la douzaine. Je me souviens qu'elle a refusé et qu'elle
a quitté l'Église comme beaucoup d'autres femmes de sa
génération. Je me souviens que ma mère
s'est ensuite séparée de mon père et que nous sommes
devenus la cible des regards et des commentaires désobligeants
de notre paroisse. Cependant, je me souviens qu'à la
suite de sa séparation, nous avons vu le collet romain sur la
table de nuit. Le prêtre voulait-il tester les moyens de contraception
de l'heure ?
Dans la même décennie, je me souviens que la
cousine de ma mère a obtenu le divorce et qu'elle a reçu du même
coup son excommunication de Rome. Je me souviens que quelques
années à peine avant ma naissance, les femmes ont obtenu
le droit de vote et en même temps le droit d'être considérées
comme des citoyennes à part entière dans la société.
Je me souviens que lorsque j'étais jeune, nous devions
nous aussi, comme pour les religions musulmanes et autres, prier sept à huit
fois par jour. La messe à tous les matins, une prière avant
le déjeuner, une prière en entrant en classe, une au dîner
sous le coup de l'Angélus, une autre avant la classe de l'après-midi,
les Grâces au souper, le chapelet en famille avec le Cardinal Léger
et une dernière prière avant d'aller au lit. Il y avait
le mois de Marie, les Vêpres, etc.. Nous avions aussi de longues
périodes de jeûne avant Noël (l'Avent), avant Pâques
(le Carême). Je n'ai pas dit non plus que nous devions porter le
deuil durant un an et plus selon le degré de parenté de
la personne décédée.
Je me souviens que, tour à tour, ma mère et ma
belle-mère ont vu une opération urgente retardée
en attendant que leur mari respectif, de qui elles étaient séparées
de fait et non légalement, apposent leur signature pour autoriser
leur intervention chirurgicale.
Devenue adulte, je me souviens que grâce aux pressions
de la génération précédente, j'ai eu accès
aux premiers moyens de contraception qui m'ont permis de restreindre
le nombre de mes propres rejetons. Je me souviens aussi qu'il
n'était plus un péché de manger de la viande le
vendredi. Je ne sais pas ce qui est arrivé à ceux qui sont
allés en enfer. J'espère qu'on les a rapatriés.
Devenue adulte, je me souviens d’avoir travaillé dans
des environnements traditionnellement réservés aux hommes. je
me souviens des frustrations de ne pas avoir été traitée
au même titre que les hommes dans les entreprises et surtout dans
la vie en général. Je me souviens qu'après
avoir eu un fils, je ne voulais plus d'autres enfants de peur que ce
ne soit des filles, par solidarité et parce que le travail qui
restait encore à faire pour atteindre l'égalité était énorme.
Je me souviens des efforts que beaucoup de femmes ont dû déployer
pour se faire reconnaître et pour obtenir des postes administratifs
de haut niveau. Je me souviens du militantisme de beaucoup
de femmes qui ont travaillé d'arrache-pied pour obtenir l'équité dans
notre pays comme politiciennes, au sein des chambres de commerce, des
syndicats, du Conseil du statut de la femme.
Je me souviens qu'il a fallu plus de cinquante ans d'efforts
collectifs pour nous libérer de l'emprise de l'Église
et de la religion sur nos vies. Je me souviens qu'il a fallu
plus de soixante ans (1940 à 2006) pour obtenir l'équité salariale et que
ce n'est pas encore réglé. Mes soixante ans font que je sais
que rien n'est acquis dans la vie et qu'il faut maintenir voire redoubler
nos efforts pour ne pas perdre le résultat de tous ces labeurs.
Je suis maintenant une grand-mère de quatre merveilleuses petites
filles et j'ai peur. J'ai peur lorsque je vois une femme voilée
travailler dans un CPE ou dans nos écoles ou encore lorsqu'on
y laisse un enfant porter le kirpan. Nous nous sommes débarrassés
de tous ces symboles religieux et voilà qu'ils reviennent à l'endroit
même où l'éducation de notre nouvelle génération
est cruciale et à la période à laquelle on doit
inculquer les principes fondamentaux de vie en société à nos
enfants. La tolérance envers ces symboles religieux que sont le
voile, le kirpan, le turban dans les CPE, dans nos écoles et dans
nos institutions en général est un manque de respect pour
les générations précédentes qui ont travaillé si
fort pour se retirer de l'emprise de la religion sur nos vies. Vous
ne vous souvenez pas !
Moi, je me souviens et à cet égard, je n'ai aucune
tolérance et je ne veux aucun accommodement par respect pour ma
mère, ma tante et pour mes petites filles. Je me souviens que
la charte des droits et libertés permet à chacun de pratiquer
la religion de son choix, mais de grâce que cette religion demeure
dans la famille. Le port du voile dans la religion musulmane est pour
nous la démonstration la plus importante de la soumission de
la femme et c'est cela qui nous fait peur et qui nous choque parce qu'on
se souvient. On se souvient que ce symbole existait il y a cinquante
ans et on ne veut pas revenir en arrière. Je me souviens surtout
que lors de la Révolution tranquille, les communautés religieuses
ont suivi tout naturellement l'évolution de notre société en
laïcisant leurs costumes. Elles ont troqué, sans qu'on
le leur impose, leurs grandes robes noires et leurs voiles dans le
cas des femmes pour des habits civils sans pour autant renier leur
foi et sans cesser de prier. Plusieurs de ces personnes sont encore
vivantes
aujourd'hui. Doit-on leur dire qu'elles ont évolué à tort
et qu'elles ont fait tous ces efforts pour tomber dans l'oubli ?
Que l'on prie Jésus, Mahomet ou Bouddha m'importe peu, mais nous
nous sommes battus, Québécois et Québécoises,
pour que notre société soit laïque. Nous nous sommes
battues, Québécoises, pour obtenir l'égalité du
droit de parole entre les hommes et les femmes autant que pour l'égalité des
chances au travail.
Souvenez-vous que si vous avez immigré au Canada et
surtout au Québec, c'est pour faire partie d'une société ouverte
qui vous donne sur un plateau d'argent tous les acquis que les générations
précédentes ont obtenus particulièrement au chapitre
des droits des femmes. Je veux croire aussi que c'est par ignorance
de nos traditions et de nos coutumes et non par manque de respect que
les femmes musulmanes veulent montrer au grand jour voire imposer ce
symbole de leur croyance qu'est le voile.
Peut-être que notre société va trop loin avec ses
libertés. Mais, le balancier doit s'arrêter au milieu et
non régresser jusqu'au point de départ. Il faut se
souvenir. L'intégration à une société commence
par le respect de ses traditions et de ses coutumes ainsi que par le
respect envers ses citoyens et citoyennes qui ont participé à l'exercice.
Peut-être que nos livres d'histoire ne se souviennent pas ou
bien qu'ils n'ont simplement pas été mis à jour. C'est
donc la responsabilité du gouvernement d'appliquer notre devise « Je
me souviens » à notre Histoire et d'intégrer à cette
Histoire les efforts de nos générations précédentes
pour atteindre la société d'aujourd'hui et surtout pour s'assurer
que la génération montante s'en souvienne. C'est
aussi la responsabilité des organismes d'accueil aux immigrants
de leur faire connaître cette devise du Québec «Je
me souviens» afin que ces nouveaux arrivants ne pensent
pas que nous sommes racistes simplement parce que l'on s'en souvient et
qu'on ne veut pas imposer à notre progéniture d'avoir à reprendre
les mêmes débats qu'il y a cinquante ans.