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Communauté chrétienne St-Albert le Grand





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3e Dimanche de Pâques

26 avril 2020

Luc 24, 13-35                       

 

Que sert-on à l'auberge d"Emmaüs?

Raymond Latour  


     Depuis Pâques, deux frères de la communauté ont déjà prêché sur l’évangile du jour. Le tenancier de l’auberge d’Emmaüs — exceptionnellement ouverte ce dimanche — m’informe qu’il ne reste plus grand-chose à se mettre sous la dent.                  
-Les deux tables de la Parole et du pain ont déjà été prises;           
-l’interprétation des Écritures par le Ressuscité, rayée de l’ardoise;         
-la symbolique du chemin et du disciple anonyme, tout cela est épuisé.     
Voyons encore un peu le menu :      
-accueil de l’autre pour l’accueil du Christ (ah! dommage, il y a cette mention : « retiré du menu le temps de la pandémie »).          
-le Ressuscité, notre Accompagnateur (plat d’accompagnement)   
-le vigoureux discours de Pierre (première lecture);          
-le trio formé par Jésus et les deux disciples – comment le Ressuscité nous rassemble et répare notre espérance;
ouais, pas mal…    
-la foi comme expérience de reconnaissance (un plat servi très chaud) …            
           
Raymond Latour  On pourrait toujours se tirer d’affaire avec cela… À tout hasard, je m’informe : « Vous n’auriez pas autre chose? » Le regard embarrassé du serveur me donnait déjà la réponse lorsque le chef m’a proposé un petit plat de sa spécialité, mais m’a-t-il précisé, « ce n’est pas du goût de tout le monde »!  « Mais certains clients, ont beaucoup aimé », dit-il, rassurant. Il me présente alors ce qu’il a servi à ces voyageurs, arrêtés à son auberge.                        
           
     D’abord une entrée froide, avec un soupçon d’amertume, servie comme rappel d’une époque quand même encore récente. Le groupe des disciples marchait et la conversation était assez animée. Jésus se tenait un peu à l’écart, mais a compris que ses disciples discutaient entre eux à savoir « qui est le plus grand? »  C’est qu’ils avaient tous alors les yeux plus grands que la panse, dirait-on.            
     C’était au temps des belles espérances, pensaient encore les disciples d’Emmaüs qui marinaient dans la tristesse des événements récents : ce procès factice qui s’était soldé par la condamnation de Jésus et sa mort sur la Croix. Ils n’avaient vraiment rien vu venir, mais ce n’était pas faute de ne pas avoir été prévenus. Dépités, le caquet bas, ils marchaient pour cette destination improbable : Emmaüs. Là ou ailleurs? Tourner le dos à Jérusalem, voilà tout ce qui leur importait. Ils avaient perdu, jusqu’à leur appétit de vie. Alors qu’ils brassaient encore ces souvenirs douloureux, un mystérieux personnage s’approche d’eux et ils lui racontent tout ce qui s’était passé ces jours-là à Jérusalem.                    
     Passons maintenant à la deuxième entrée qui n’a pas manqué d’intriguer les deux voyageurs. L’agencement des éléments constituait un plat inconnu pour ces disciples : une macédoine de l’Écriture où Moïse et les prophètes tiennent tout ensemble, grâce à la consistance que leur donne l’Événement-Jésus. « Voilà qui les a mis en appétit! », me confie le chef à propos de son aspic.
     Avant l’arrivée du plat principal, pour patienter, un panier de pain s’offrait aux convives. On juge d’un restaurant à la qualité de son pain et les disciples d’Emmaüs s’en sont rassasiés. Le pain est toujours servi en abondance à la table de cette auberge.          
     Mais, qu’est-ce que le chef peut bien mijoter dans sa cuisine?  Ah! le voici qui arrive! « C’est la sauce qui fait la particularité du plat », prévient-il, « c’est elle qui lie tous les éléments entre eux ». Un peu craintif, le chef ajoute en déposant l’assiette : « vous savez, il y en a qui trouve cela un peu lourd… ».      
-Et comment l’appelez-vous ce « spécial du chef »?           
-« Le partage à la sauce Emmaüs ». 
     Faisons-en l’expérience!       
           
     Oui, le partage. Pour bien mettre en valeur la consistance de notre expérience humaine. C’est lui qui soutenait les pèlerins d’Emmaüs sur leur chemin, qui les préparait déjà à faire la rencontre décisive de l’étranger. « Ils parlaient entre eux de tout ce qui s’était passé ». Ils portaient ensemble le poids insupportable du sentiment d’échec, des attentes trompées, de la perte de repères. Le drame du prophète assassiné, c’était le leur. Ils y avaient lié leur destin. Le partage les retenait encore tandis que le gouffre de la désespérance s’ouvrait devant eux. Le partage pour la survie.             
     Puis, les voici engagés dans un nouveau partage, avec un inconnu, mystérieux voyageur qui les aborde : « De quoi discutiez-vous en chemin? ». La question même que Jésus leur avait un jour posée une fois rentrés à la maison. Ils allaient alors à l’impasse d’un Messie politique, glorieux qui ne pouvait connaître la souffrance.  
Jésus avait tenté en vain de leur expliquer qu’il fallait que le Messie passe par la souffrance et la mort, mais ils n’avaient pu l’entendre. Ils étaient partis pour la gloire, les voilà maintenant submergés par la Croix. Après une écoute attentive de leur chagrin, il les ramène au droit chemin indiqué par l’Écriture, en passant par la Loi et les prophètes jusqu’à ce Jésus qu’ils méconnaissaient. Enfin, dans ce partage, l’Écriture devenait vivante pour eux, elle s’inscrivait dans leurs cœurs. Ils en goûtaient toute la fraîcheur.     
     Et ce partage du pain qui leur en rappelait d’autres, le pain associé à la présence de leur Maître. Tous ces partages qui ont permis à leurs yeux de s’ouvrir pour le reconnaître comme Seigneur. Sur la route du retour à Jérusalem, et encore avec les onze Apôtres et leurs compagnons, un autre partage, joyeux celui-là, pour se confirmer dans la vérité inouïe : « Le Seigneur est vraiment ressuscité! ».      
         « Alors il vous plaît mon spécial « Partage à la sauce Emmaüs »? s’enquiert le chef.      
-« Divin! tout simplement divin! »   
-Et pour finir? demande-t-il à son convive comblé. Au choix : un dessert flambé ou quelques douceurs de l’Esprit-Saint?

P.S. Le chef nous informe que l’on peut commander ce spécial pour apporter à la maison. L’Esprit-Saint se charge de la livraison.